Josette Henriette Marguerite Chevrier épouse Coriat - Les Français Libres

Les Français Libres, de juin 1940 à juillet 1943

 
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Josette Henriette Marguerite Chevrier épouse Coriat



Naissance : 25 avril 1914 - Paris 6e

Engagement dans la France Libre : Londres en mai 1941

Affectation principale : BCRA /

Homologuée FFL

Grade atteint pendant la guerre et spécialité : lieutenant

Décès à 79 ans - 25 juillet 1993 - Boissy-aux-Cailles (77)

Soeur de Roger Chevrier 
Epouse de Léon Coriat 

Dossier administratif de résistant : GR 16 P 127998


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Josette Henriette Marguerite Chevrier épouse Coriat - son Livre ouvert !
 

Portrait d’une famille de FFL....par Françoise Coriat

"... Avant de rejoindre mes parents à Brantôme Roger prit quelques contacts susceptibles de lui servir plus tard dans le réseau qu’il cherchait déjà à cette époque à mettre sur pied.

Pendant l’exode, le dispensaire de Paris où travaillaient Josette, sa sœur (ma mère) en qualité d’infirmière et mon père, en qualité de médecin, cessa de fonctionner. Jusque là, ma mère passait de douze à dix-huit heures par jour à l’accueil et aux soins des réfugiés de l’Est et du Nord du pays. Le dispensaire fermé, ils prirent leur petite Simca et se dirigèrent, comme tout le monde, vers le Sud. Ils n’avaient pas de nouvelles de Roger. Au début de la guerre, ils avaient décidé avec lui de deux points de ralliement possibles si Paris était occupé : la maison de leurs amis de Monti en Anjou ou bien celle de Jeanne, leur vieille nourrice, et son mari Ernest, à Brantôme dans le Périgord. La pagaille générale et les embouteillages étaient tels qu’ils n’arrivèrent à Toulouse que le 17 juin. A l’annonce que Pétain avait demandé l’armistice, ils furent atterrés. Les gens autour d’eux étaient partagés : certains se montraient ravis que les dégats s’arrêtent là et que Pétain « ait sauvé les meubles », d’autres, plus sensibles au déshonneur des armes françaises et appréhendant les horreurs de l’occupation, pleuraient dans la rue. Le 18, Josette et Léon entendent à la radio l’appel du Général De Gaulle : « …La France a perdu une bataille mais la France n’a pas perdu la guerre !… Ils décident aussitôt de passer en Angleterre rejoindre la « France Libre ». Ils reprennent la route du Sud, espérant trouver Roger chez Jeanne et Ernest. Mais Roger n’est pas au rendez-vous. A partir du 24 juin, toute la longueur du littoral était occupée par les Allemands, ce qui rendait impossible une évasion par la mer. Un bateau anglais réussira encore le 27 à longer l’estuaire de la Gironde et à prendre à son bord les derniers rescapés de la division polonaise.

Pour mes parents, la solution la plus judicieuse paraissait donc de passer par l’Espagne pour arriver à Gibraltar. La France était coupée en deux. La zône libre était effervescente et les passeurs, anciens contrebandiers, commençaient déjà à faire traverser les Pyrénées à des groupes ou à des individus isolés. Josette pensait avec raison que, si son frère était vivant et en liberté, il voudrait certainement rejoindre De Gaulle avec eux , mais qu’il était empêché, pour des raisons de prudence, de leur donner signe de vie. Il se pouvait aussi qu’il pensât rendre plus de services sur le sol même de la France et fût déjà en clandestinité. Ils avaient demandé leurs visas pour l’Espagne, qu’ils comptaient traverser en voiture. Tout en les attendant, ils espéraient chaque jour voir arriver Roger ou au moins recevoir de ses nouvelles. Au bout de quelques semaines, ils commencèrent à se sentir fort inquiets. Ils en étaient réduits à essayer de deviner ce qui avait pu lui arriver. Il pouvait être mort ou prisonnier. En désespoir de cause, ils se décidèrent à partir sans lui, pensant qu’il fallait faire vite avant que l’étau se refermât sur eux.

Léon, dont l’espagnol était la langue maternelle, invita un vieux douanier à venir prendre un pot avec lui. Le douanier le dissuada de se hasarder avec sa voiture en Espagne: « -On va vous la voler. Les soldats ont besoin d’essence. Ne faites pas cette folie ». Ils décidèrent donc de vendre la Simca 1000 et de s’embarquer pour Oran à Port-Vendres en laissant à Jeanne l’adresse de la mère de Léon. L’Oranais était un département français. Léon avait fait ses études secondaires au Lycée d’Oran avant de partir étudier la médecine à Paris. Il avait là de nombreux amis et de la famille. A partir d’Oran, il pouvait emmener Josette à Casablanca chez sa mère. Dans trois longues lettres datant de 1985, mon père répond à mes questions : «…Les difficultés de tels voyages à cette époque étaient énormes. On ne pouvait faire un pas sans montrer patte blanche. Il y avait plusieurs frontières à traverser, ce qui représentait quantité de permis et d’attestations à obtenir. Les attentes de visas et autres papiers étaient interminables. Pour mémoire, le Maroc, était divisé en trois zônes. Au Sud, la plus grande était un protectorat français, avec la résidence du sultan, aujourd’hui roi, à Rabat. Au Nord, jouxtant cette zône, s’étendait la zône espagnole, ayant pour capitale Tetuan, berceau de ma famille ; enfin, à la pointe Nord, la toute petite zône internationale de Tanger, sur le point d’être annexée au Maroc espagnol. A Casa, sévissait le gouvernement de Vichy, bien décidé à empêcher les Français en général et les Juifs en particulier, de se joindre aux F.F.L. de De Gaulle. Les bateaux britanniques qui rapatriaient les fonctionnaires des Indes –le fameux défi, de Churchill- à la barbe des Allemands et malgré les sous-marins, les mines flottantes et les torpilles, faisaient escale à Tanger et à Gibraltar…»

C’est à Casablanca que leur parvient enfin une lettre de Roger. Mon père raconte : « …Dans sa lettre, il nous fait comprendre ses intentions à mots couverts et nous demande de revenir à Brantôme pour l’aider à les réaliser. Nous étions fous de joie, d’abord de le savoir vivant et ensuite de remarquer la similitude de nos idées sur ce qu’il fallait faire. Il y avait, en effet, des gens pour dire que quitter la France était une lâcheté. Tu n’ignores pas que nous tous, les Français libres, avons été déchus de la nationalité française par le gouvernement de Vichy en 1943. Ce n’est qu’après la guerre que notre patriotisme a été reconnu par la médaille des évadés.

« Nous avons donc décidé, Josette et moi, pour faciliter l’évasion de Roger, de rentrer en France, moi avec le motif de passer ma thèse de doctorat en médecine, puisque les nouvelles lois raciales ne me permettaient plus de me présenter à l’Internat, Josette me suivant… »

Les voici donc tous les trois revenus à Brantôme chez Jeanne et Ernest. La lettre de mon père continue : «… Arrivé à Brantôme, Roger qui, recherché par la Gestapo, ne pouvait plus le faire lui-même, charge Josette d’aller à Paris. Il lui confie des enveloppes mystérieuses qu’elle doit porter dans des boîtes à lettres et des instructions précises pour un certain nombre de contacts. Nous sommes en octobre 1940. A son retour, nous partons tous les trois pour Casa, à partir de Port-Vendres, comme la première fois. Ici, continue fièrement mon père, c’est le phénomène inverse qui se produit : en l’occurence, les Juifs qui aident les ‘ Goyim’. Mon oncle ayant accepté de signer une déclaration comme quoi Roger habitait chez lui, il se trouvait officiellement domicilié à Casablanca. Nous passons par Oran et prenons le train pour Casa. Roger se loge donc chez mon oncle, Josette et moi chez ma mère, respectivement au 2ème et au 4ème étage du même immeuble, 75 Bld de la Gare.

« Là encore, Roger prend des contacts. Lesquels, je ne sais pas. Il a toujours été cachotier, mystérieux et cloisonnait ses amitiés. Nous avons rencontré Edouard, son cousin germain, qui débarquait pour une escale de douze heures, d’un bateau en partance pour l’Extrême-Orient. Nous avons naturellement passé ce temps ensemble mais Roger n’a pas voulu qu’Edouard connaisse nos intentions. Ma famille ne les connaissait pas non plus, ni mes frères ni ma mère. La moindre indiscrétion pouvait nous faire emprisonner tous les trois et envoyer dans un camp près de Rabat. Les habitants juifs de Casa tenaient à ne pas se faire remarquer par les autorités françaises qui étaient pétainistes. Certains d’entre eux qui, par conformisme, cherchaient à se faire bien voir auprès des institutions reconnues, se déclaraient même ouvertement pour Vichy. Ainsi ce directeur de la banque de Oujda, désireux de ménager, en toute occasion, la chèvre et le chou, pensait qu’il ne fallait surtout pas prendre de risques inutiles, regardait nos agissements avec une certaine méfiance et refusait de nous avancer un sou. C’est mon oncle Abraham qui nous a aidés financièrement pendant tout notre séjour.

« Le même scénario qu’à Brantôme se déroule à Casa, à savoir que Josette, enceinte, est celle qui va voyager afin de nous ouvrir la voie. En raison de son état, on ne se méfie pas d’elle. Sous le prétexte officiel d’aller accoucher auprès de sa belle-sœur, Flor ma sœur, qui habitait Tanger, elle obtient facilement le visa espagnol nécessaire pour entrer au Maroc espagnol qu’il fallait traverser pour arriver à l’enclave internationale de Tanger. Elle est très bien reçue par ma famille qui lui facilite les contacts, tant anglais qu’espagnols …

… « Dans ce clan familial qui est le mien, continue mon père dans sa lettre, une partie avait pris parti pour la République espagnole, l’autre, la plus nombreuse, pour Franco. Un de mes cousins, Toledano, qui occupait une place importante au consulat d’Espagne, a été pressenti par mon beau-frère Isaac Cohen, le mari de Flor. Isaac présente également Josette au Consul d’Angleterre à qui elle parle de Roger. Elle a su profiter de ces entrevues pour influencer des gens éminents qui sont devenus, par la suite, de grands résistants. Toute la famille s’emploie à nous faire venir, Roger et moi, tant et si bien que je suis convoqué un beau jour au Consulat d’Espagne à Rabat pour recevoir aussitôt un magnifique tampon sur mon passeport français, m’autorisant à traverser la zône espagnole. J’aurais pu m’éviter tous ces tracas si j’avais consenti à faire usage de mon passeport vénézuélien mais je ne voulais aucun privilège dont n’aurait pu bénéficier Roger. Huit jours plus tard, le même phénomène se produit pour lui et en même temps pour deux autres Français, le père et le fils, qui se nommaient également Chevrier. Ils n’ont probablement pas encore compris à qui ou à quoi ils l’ont dû.. ».
[...]
Mes parents, quant à eux, n’arrivèrent à Gibraltar que le 17 mars 1941. C’est là que je suis née, le 22 avril. Gibraltar était à l’époque une base exclusivement militaire dont on avait évacué les civils pour la durée de la guerre. La population féminine de Gibraltar se réduisait donc à quelques infirmières. On attendait un grand convoi en provenance des Indes. Ma mère craignait d’avoir à accoucher à bord. Elle dut accoucher à l’hôpital militaire, ce qui ne valait guère mieux. Elle souffrit beaucoup et dut se relever aussitôt, l’embarquement devant avoir lieu huit jours plus tard. Les soldats anglais de la base et les volontaires français, extraordinairement émus par ma naissance, se cotisèrent pour m’offrir une petite croix de Lorraine en or, montée sur un losange découpé dans un cockpit d’avion, et me décorer ainsi du titre officiel de « premier bébé de la France libre ». La traversée dura vingt et un jours. Les navires du convoi, devant louvoyer et changer de direction pour essayer d’éviter mines flottantes et sous-marins, furent détournés jusqu’en Islande, ce qui n’empêcha pas deux d’entre eux de couler corps et biens. Ils parvinrent enfin à Greenock-Gourock en Ecosse.
[...]
Josette, ma mère, avait pensé le rejoindre en sa qualité d’infirmière, mais comment prendre avec elle sa petite fille dans les dangers terribles d’un tel voyage – et comment ne pas la prendre ? Elle resta donc à Londres. Pendant la guerre, on procédait à une formation accélérée d’infirmières et d’assistantes sociales, que des infirmières diplômées comme ma mère, qui avait le grade de lieutenant, étaient chargées d’enseigner et d’inspecter. Dans le cours de l’année 42, elle tomba gravement malade –puis ce fut moi- et elle dut abandonner ses fonctions. Plus tard, en 1944, elle entra au B.C.R.A., dans les services civils du commandant Passy, (chef de service Georges Boris) où l’on dépouillait les dépêches secrètes venues du continent. Cette année-là, mon père revint de Syrie, mon oncle partit en mission et, lorsqu’en 1944, on évacua tous les enfants de Londres pour les protéger des V-1 et des V-2, je fus mise en pension dans une école installée dans une grande propriété de Gloucester où je dus, bon gré mal gré, apprendre l’anglais. J’avais trois ans. Je ne revis mes parents qu’un an plus tard lorsque mon père vint me chercher pour m’emmener à Paris, où je dus rapprendre le français que j’avais complètement oublié ! ..."

Photographie, Josette Coriat, née Chevrier, Londres, 1941 : photo d’identité sur sa carte d’engagement aux FFL.

Jacques Ghémard le dimanche 03 juillet 2022 - Demander un contact

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Mon oncle Roger

Le « Livre d’or de la France combattante et résistante » est un grand album rouge édité en 1950 par les Editions Gloire, 65 Rue d’Amsterdam, Paris. L’exemplaire n° 236 porte en première page la mention suivante :

« CET EXEMPLAIRE A ETE IMPRIME pour Monsieur :

CHEVRIER Roger. Commandant F.F.L. Entre dans la Résistance en 1940 ; est obligé de quitter la France, étant recherché très activement par la Gestapo. S’engage aux F.F.L. à Londres le 15 avril 1941 ; est blessé grièvement le 10 mai 1941 à Londres, lors d’un terrible bombardement. Est détaché à la B.B.C. (Les Français parlent aux Français) jusqu’en juillet 1943. Fait partie du B.C.R.A. Est parachuté ; occupe sous les ordres de M. Parodi la fonction de Secrétaire de la Délégation Générale du Gouvernement provisoire jusqu’à la Libération. Chevalier de la Légion d’Honneur, Titulaire de la Croix de Guerre 39-45, Cité à l’Ordre de l’Armée, Médaille de la Résistance avec rosette, Médaille des évadés.

Roger Chevrier est né à Paris (5ème) de parents catholiques d'origine bourguignonne. Son père était gérant de la régie des tabacs après avoir été éditeur d'art. Roger a fait ses études au Lycée Henri IV puis à la Sorbonne à la Faculté des Lettres. Il était passionné de Littérature et d'Histoire.

Roger et mes parents, tous trois engagés volontaires des Forces Françaises Libres, sont arrivés à Londres, Roger en avril, mes parents en mai 1941. Mon père, le Dr Léon Coriat, est devenu le médecin-chef de l'Etat-major du Général Koenig. Ma mère travaillait au B.C.R.A à Londres. Je suis née en route!

C'est au mois de juillet 1943 que Roger quitte la B.B.C., ayant reçu de la France Libre la mission de participer à l’organisation des services crées par le Conseil National de la Résistance de Jean Moulin. Celui-ci, travaillant à la coordination des réseaux de Résistance dans la zône sud, venait d’être arrêté. Brossolette avait réussi la mission parallèle dans la zône nord, permettant de réaliser la coordination générale des mouvements de Résistance sur l’ensemble du territoire en même temps que l’organisation du départ vers la France Libre du plus grand nombre possible de personnalités politiques et syndicales, selon le plan de liaison directe entre la zône occupée et Londres, plan établi par Christian Pineau et Alexandre Parodi; revenu à Londres, devenu pendant quelques semaines le porte-parole de la France Libre ; ayant reçu du Général De Gaulle la mission de préparer la succession de Jean Moulin à la présidence du Comité National de la Résistance ; reparti en France au mois de septembre, Pierre Brossolette était arrêté au début de février et mourait le 22 mars 1944.

Roger, élevé au grade de commandant, nommé secrétaire de la Délégation générale, adjoint de Parodi et envoyé en France, porteur de directives de Londres et de sommes d’argent importantes auprès des différents maquis, prenait donc là une succession illustre et dangereuse. Quelques mois auparavant, Josette (sa soeur, ma mère, avec qui il vivait à Londres) se plaignait dans une lettre de ce qu’appliquant plus que jamais « ses méthodes d’isolement », il ne lui permît pas de voir ses amis à lui et qu’il évitât les siens. « Il n’est gentil dit-elle, qu’avec Françoise. Mais il a un caractère odieux… » En réalité, il préparait déjà en secret sa mission. Il ne se confiait jamais, pas plus à sa sœur qu’à ses meilleurs amis. Jean Marin raconte : « …Roger Chevrier, notre historien, nous dit, un jour de 1943, que l’asthme le fatiguait de plus en plus sous le climat britannique et qu’il avait décidé d’accepter la proposition de Pierre Bloch, nommé secrétaire général à l’Intérieur, de venir travailler avec lui à Alger. Il nous quitta rapidement. Notre ami n’était pas parti pour l’Afrique du Nord mais pour une base d’Ecosse où il s’entraînait au parachutage nocturne… » (Son héroïsme était d'autant plus grand qu'il était atteint de tuberculose, mal dont il est mort en 1954, à l'âge de 45 ans!)

Une lettre émouvante,(d'un certain Léon Fail) que nous avons reçue plusieurs années plus tard, à la mort de Roger, fait un peu de lumière sur cette époque de sa vie : « …Je connaissais son existence avant de l’avoir vu. Il était mon chef et c’est lui qui disposait du modeste agent de liaison que j’étais. C’est dans la cour de la Place Bauveau que je l’ai vu pour la première fois, nu-tête, modeste, gai, fraternel. Son épopée, je l’ai apprise par bribes, de sa bouche et je restai muet devant tant de simple héroïsme…Il me racontait son apprentissage de parachutiste : ‘-Chaque fois, disait-il, j’avais une peur atroce du vide qui s’ouvrait devant moi. Quand j’entendais le Go ! de l’instructeur anglais, ma peur cessait devant tous les soldats étrangers qui peut-être guettaient mes réactions. Et alors, je sautais.’ –Et vos poumons ? lui demandai-je. -‘Ca se passait à merveille’. Oui, à merveille, mais les multiples efforts que faisait Deman (c'était son nom de guerre) n’ont-ils pas aggravé son état ?…Je lui enviais son équilibre et sa modération. En toute occasion, il savait laisser gouverner la raison et agir le temps. En cela il était cartésien… » Pourtant Roger était impétueux, un être de passion comme sa sœur, et s’emportait souvent, tant dans sa vie intime que dans sa vie publique. Il se fit, par certains mots cinglants et défis inconsidérés, des ennemis mortels. Mais il savait, dans le cadre de ses responsabilités, garder la tête froide, non moins que les Anglais leur self control.

Les gens modestes, solitaires et secrets ne rendent pas la tâche aisée à leurs biographes ! Roger racontait de ses aventures les anecdotes qui lui semblaient devoir amuser ses interlocuteurs mais comme il n’était jamais question pour lui de se vanter ou même de s’étendre si peu que ce soit sur ses faits de guerre, il m’est difficile aujourd’hui de reconstituer ce qu’a pu être sa vie pendant toute la période qu’il a passée dans la clandestinité. Il a dû être parachuté deux ou trois fois. Il s’écoule en effet une période de huit mois entre le moment où il quitte la B.B.C. et celui où on le retrouve secrétaire de la Délégation générale à Paris. Or, son entraînement n’a pas duré plus d’un mois. Les récits de ses aventures telles que les rapportent, d’une part Jean Marin, son meilleur ami et d’autre part son propre père, semblent faire état de deux atterrissages dans des circonstances très différentes.

Les avions qui faisaient la liaison entre la France Libre de Londres et les réseaux de Résistance étaient en général des « Lysander, légers et maniables qui pouvaient se poser sur un champ court à condition qu’il n’y eût ni trou ni fossé mais qui ne pouvaient transporter, en sus de leur pilote, que deux personnes et quelques sacs de courrier. L’équipe de réception faisait des signaux à l’aide de torches électriques qui limitaient l’aire d’atterrissage. Les lumières devaient être assez faibles pour ne pas alerter les Allemands. Il fallait donc un certain éclairage naturel, c’est pourquoi les opérations se faisaient en périodes de pleine lune » raconte Gilberte Brossolette. Je recueille quelques détails supplémentaires sous la plume du Commandant Chambert: «… Les parachutages d’armes et de matériel…annoncés par un message personnel de la B.B.C (du style :‘Joséphine a perdu ses petits souliers’ ou : ‘le gros adore le homard grillé’ ) étaient reçus sur des terrains secrets dont le balisage sommaire se faisait à l’aide de lampes de poche et selon des consignes minutieuses…A l’heure dite, l’avion arrivait, lâchait les « containers » de très bas (200 à 300 mètres) et il ne restait qu’à transporter ceux-ci en lieu sûr… »

Mais il se produisait parfois des confusions.

Jean Marin raconte qu’à l’une des expéditions de Roger, les armes tombèrent là où on attendait Roger et lui « se retrouva seul en pleine campagne au soleil levant. Avisant au loin une belle demeure, il enterra son parachute et partit vers elle, décidé à jouer le tout pour le tout. Sur le perron, il pria le domestique de le conduire aussitôt auprès des maîtres de céans. Bientôt, la maîtresse de maison l’ayant rejoint dans la petite pièce où on l’avait fait attendre, Chevrier lui dit toute la vérité et lui demanda si elle pouvait l’aider à remonter vers Paris par le train. Sans répondre, la dame partit en courant et disparut vers le haut de la demeure d’où venaient des voix juvéniles. Un bon moment plus tard, notre ami, plus inquiet de minute en minute, vit revenir la châtelaine et l’entendit dire en le désignant, aux nombreux garçons et filles qui l’entouraient : ‘Mes enfants, voici notre premier parachutiste !’ Le lendemain, de bonne heure, il débarquait à la gare de Lyon comme il était prévu. Il allait franchir le tourniquet quand un officier de SS s’approcha vivement du contrôleur et, désignant Chevrier, dit : ‘ Celui-là, laissez-le moi’ Et il l’entraîna dans un bureau voisin. La porte refermée, l’officier de SS dit à Roger Chevrier : ‘ Maintenant, tu vas sortir par là ; les camarades t’attendent ; bonne route !’ C’était un Alsacien, volontaire de la France Libre, engagé dans les SS et qui assurait de son mieux le passage des clandestins des réseaux de la France Libre… »

A la Libération, mes grands-parents sont à Paris. Sur un petit carnet relié de noir, trente feuillets couverts, recto et verso, d’une écriture minuscule, mon grand-père note minutieusement, jour par jour, la chronique de ce qu’il appelle « la Délivrance de Paris ». Le jeudi 31 août 1944, il écrit : « …Il(Roger) nous est tout à coup apparu, accompagné d’un camarade. Il prit toutefois la précaution de nous envoyer en ambassadeur notre excellente concierge pour amortir le choc qu’aurait pu nous causer sa présence inopinée. Notre émotion n’en fut pas moins profonde : il y avait quatre ans et demi que nous ne l’avions pas vu. Nous ne savions pas exactement où il était et ne le pensions pas à Paris…

« …Il nous raconte être venu d’Angleterre il y a cinq mois par avion et parachuté. Le point d’atterrissage était le voisinage d’un petit trou perdu de la Champagne pouilleuse. La descente se fit de nuit, bien entendu. Derrière lui, l’avion jeta au sol vingt-quatre caisses remplies d’armes. Des paysans étaient là qui attendaient et qui, dès que tout fut à terre, se mirent avec entrain à enfouir les caisses dans un bois. Puis ils emmenèrent Roger au village où, avec force précautions, ils l’introduisirent chez une vieille paysanne laquelle, à son tour, le fit entrer dans une pièce où se trouvait…Mr le Curé ! Accueil émouvant du brave abbé qui l’embrasse avec effusion, lui fait faire un bon repas réconfortant et le fait coucher.

« Le lendemain, la voiture d’un charcutier vient chercher un cochon qu’on avait tué. En réalité, le cochon était Roger que, pour donner le change, l’on enfouit sous des linges maculés de sang ! Et le voilà parti, à quelques kilomètres ou lieues de là à destination d’un magnifique château qui offre cette particularité d’avoir un abri secret ayant servi, pendant la Révolution, à cacher des émigrés ! Il couche à proximité de l’abri de façon à pouvoir s’y réfugier au premier signal. Des provisions de bouche l’y attendent pour une dizaine de jours.

« Ce n’est plus dans une voiture de charcutier qu’il quitte le château mais dans celle d’un charbonnier. Il sera enfin amené à prendre une troisième voiture.

« Cependant, les Allemands qui occupent la région et qui, l’avant-veille, ont entendu l’avion anglais, ont compris qu’il a dû débarquer quelqu’un et font des rondes et des patrouilles un peu partout. A un moment donné, Roger voit de loin sur la route trois barrages de gendarmes français. Nul doute qu’ils sont là pour l’arrêter ! Or, non seulement ils le laissent passer mais ils se mettent au garde-à-vous et le saluent militairement. Ils étaient de mèche !

« Enfin il arrive en ville où il prend le train pour Paris. Il va passer cinq mois dans nos murs, sous différents noms, changeant constamment de domicile, risquant plusieurs fois d’être pris. Ces jours-ci, il se battra et aura le plaisir de faire des prisonniers. Au cours de ces cinq mois, il eut plusieurs fois l’occasion de passer sous nos fenêtres. Quelle tentation de monter nous surprendre et nous embrasser ! Mais il dut s’abstenir, ce qui fut pour lui une des plus cruelles épreuves qu’il eut à subir… »

Dans le cadre de ses activités, Roger, chargé de veiller à la distribution d’argent et d’armements aux divers maquis, se déplaçait dans le pays tout entier. Il arriva une autre fois –c’était mon anecdote préférée lorsque j’étais enfant- que, n’ayant pas trouvé au rendez-vous ceux qu’il était censé rencontrer, il se retrouva seul en pleine campagne. De deux choses l’une : ou on avait essayé de l’attirer dans un piège ou les hommes du maquis avec lesquels il avait rendez-vous venaient eux-mêmes d’être pris. Il s’agissait donc pour lui, détenteur de papiers compromettants et d’une grosse somme d’argent, de se cacher le mieux possible et de s’éloigner au plus vite. Tout autre que lui se fût perdu. Pas lui : en plus d’une remarquable connaissance du pays, il avait « le sens de l’orientation » et pouvait renifler la direction du nord, infailliblement, comme un animal. Il se mit donc en marche, prudemment, se cachant de jour et marchant de nuit. Au bout de trente-six heures, affamé, il arriva à proximité d’un couvent. Il sonna et demanda à la sœur tourière de lui permettre de parler à la mère supérieure. Celle-ci, en le voyant, s’exclama : « D’où venez-vous, mon fils ? » Il répondit du tac au tac : « Je viens du ciel, ma mère ! » Comme les Dominicaines de Malétroit en Bretagne qui, malgré la rigueur de leur règle monastique, selon laquelle nul ne doit franchir les portes de leur demeure, donnaient asile à des résistants et cachaient jusque dans leur retraite inviolable de nombreux parachutistes alliés recherchés par la Feldgendarmerie , ces religieuses le nourrirent, le soignèrent comme un coq en pâte et organisèrent son retour à Paris dans une charrette remplie de foin.

Je me souviens d’un jour dans les années 50, où Roger, toujours malade, nous raconta au déjeuner avoir fait de l’ordre toute la matinée dans ses papiers. Il en avait jeté ou brûlé une bonne quantité. Sans doute, bien que trop pudique pour en parler, se préparait-il à mourir. Mais il y avait un paquet de lettres qu’il n’avait pas eu, avoua-t-il, le courage de détruire et dont il décida apparemment de confier le dossier à la postérité (moi en l’occurrence, plus de cinquante ans plus tard !) comme on jette une bouteille à la mer. Tapées à la machine sur papier-pelure ultra-fin, presque transparent, il s’agit de la correspondance entre la Délégation générale dont il était un des trésoriers, les maquis auxquels il était chargé de distribuer l’argent et qui réclamaient à cors et à cris les fonds qui leur avaient été promis ainsi que les agents de liaison, plus ou moins adroits, plus ou moins efficaces, plus ou moins honnêtes, ceux qu’il fallait encourager, ceux dont on devait se défier, ceux enfin qui, ayant révélé l’adresse clandestine, avait provoqué de désastreuses descentes de police: il y avait des complices dans la police française de sorte que l’on put en quelques occasions, récupérer des papiers et même des fonds mais il n’y en avait pas dans la Gestapo et certains copains le payèrent de leur vie. Alors que son ordre de mission officiel est daté du mois d’avril, nombre de ces lettres, annotées en marge au crayon bleu, apparemment par lui d’après l’écriture, datent des mois précédents, la plus ancienne du mois de janvier. Les pseudonymes employés ne me donnent que fort peu d’indications : certains sont géométriques : Hypothénuse, Triangle, Cercle, Polygone, Carré (les deux derniers appartenant à l’extraordinaire réseau des PTT) ; d’autres littéraires, principalement puisés chez Molière: Arnulfe, Oronte (Roland Pré, un des collaborateurs de Parodi) Géronte (si c’est Roger qui a choisi ces pseudonymes, je le reconnais bien là !); d’autres enfin me sont connus par les Editions de Minuit –comme François-la-Colère, qui recouvre le nom d’Aragon. Certains chefs de maquis semblent dédaigner de prendre un faux nom, comme La Tour du Pin, que je ne connaissais jusqu’à ce jour que comme poète et dont je trouve avec amusement une lettre indignée par les lenteurs administratives de la Délégation .

Un détail affectait particulièrement la petite fille impressionnable et romanesque que j’étais : les chargés de mission dans la France occupée étaient munis d’une pilule de cyanure à l’effet foudroyant afin de ne pas avoir à subir la torture s’ils étaient pris et ne pas risquer de révéler leurs secrets. Brossolette avait dissimulé la sienne dans le chaton d’une chevalière. Ayant dû se dessaisir de celle-ci à l’entrée de la prison, il s’était trouvé démuni. Roger avait trouvé le moyen d’introduire la sienne, dont le revêtement était parfaitement imperméable, dans une dent creuse afin de l’avoir toujours à sa portée et pouvoir l’utiliser dans l’instant. J’adorais qu’il me racontât ses aventures. Cet homme que j’ai connu gros et malade, prématurément vieilli, déprimé, bougon, avait pour moi seule toutes les patiences, retrouvait son rire, ses saillies pleines d’humour, son intérêt pour les livres d’aventures de son enfance qu’il était impatient de me voir lire, curieux de mes réactions. Je le regardais comme on regarde un héros. Il m’expliquait le plus sérieusement du monde comment brûler un papier de manière à ce qu’il s’enflamme d’un seul coup et soit irrécupérable pour l’ennemi, comment confier le plus possible de détails à sa mémoire plutôt que d’avoir à rouler en boulettes et avaler des papiers compromettants, comment développer la mémoire de manière à n’avoir à lire une page qu’une fois ou deux pour la fixer indélébilement dans l’esprit, comment reconnaître le Nord et retrouver sa direction dans une forêt. Il m’offrit pour l’anniversaire de mes neuf ans un grand atlas historique (le Vidal-Lablache) dont on pouvait compléter les pages au fur et à mesure des changements politiques et des nouvelles frontières dans le monde (ce que, ô honte, je ne me souciai jamais de faire mais que j’aurais sûrement fait s’il avait vécu) tant il avait envie de me voir partager son goût pour l’histoire et la géographie. Il s’intéressait à mes progrès en latin, en grec et en français et m’aidait à apprendre par cœur les poèmes de Ronsard, de Du Bellay, de Marot, de Villon. Il voulait me voir lire « La chanson de Roland » dans le texte; il eût bien voulu me montrer les églises romanes de Bourgogne et m’initier aux grands textes de Focillon , mais ne vécut pas assez longtemps et je restai d’autant plus désemparée que, n’ayant pas naturellement la ferme discipline studieuse de mon grand-père, je n’accédai à tout ce domaine qui était le sien, qui m’apparaissait de loin comme une sorte de pays de Cocagne de la culture , que beaucoup plus tard, beaucoup trop tard.

En 1984, son ami Gus (Gustave Erlich) dessinateur, humoriste, grand ami de mon oncle Roger et de mes parents, est venu à Jérusalem pour me rencontrer et m'a confié un texte écrit par lui lors de la Libération de Paris, où il se trouvait aux côtés de Roger. Ce texte, cité in extenso dans le livre de Pierre Bourget "Paris, année 44,occupation, libération, épuration" ed. Plon 1984, raconte jour pour jour, presque heure par heure, l'occupation du Ministère de l'Intérieur et leurs randonnées périlleuses à travers Paris encore partiellement occupé, pour faire imprimer et distribuer affiches et tracts gaullistes.

Je suis à votre disposition pour tous détails supplémentaires.

Françoise Coriat le dimanche 20 février 2011

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