Contributions - Les Français Libres

Les Français Libres, de juin 1940 à juillet 1943

 
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Le colonel Conus raconte son incroyable évasion... d'un peloton d'exécution

« Le 21 juillet, le Vercors était entièrement encerclé et d'après les renseignements parvenus au P.C., on pouvait déjà se rendre compte qu'il ne s'agissait pas seulement d'une opération ayant pour but de dégager les itinéraires, mais d'une attaque en force par plus de 30.000 Allemands.
« Le lieutenant-colonel Hervieux, commandant la défense du Vercors, demande un officier pour faire une liaison avec le « maquis » de l'Oisans, afin de les mettre au courant de cette menace et préparer leur participation au combat.
« Je me propose pour effectuer cette mission.

« Tout à coup, au moment où nous nous approchons du pont de la Greshe, à l'entrée du village, des balles sifflent tout autour de nous et bientôt nous sommes complètement encerclés par un détachement allemand. Impossible de fuir, nous sommes prisonniers.
« Après quelques hésitations, les soldats nous conduisent à leur officier, qui observe à notre égard une attitude correcte. Mais il nous apprend qu'il va nous remettre entre les mains de la police allemande qui vient justement d'arriver dans le village.
« Après nous avoir fortement brutalisés, les policiers procèdent à une fouille minutieuse. J'avais sur moi 180.000 francs et une micro-photo du code secret de la radio, que je réussis heureusement à dissimuler entre deux doigts. Pendant une heure nous sommes ainsi malmenés et ces brutalités sont constamment accompagnées de cette question : « Tu viens d'Alger ou de Londres ? », suivie de menace de mort.
« Au cours d'un passage à tabac, je m'écroule sur le sol et réussis à enfouir le précieux code dans le gravier.
« On nous fait ensuite monter dans un car, accompagnés de trois jeunes gens ramassés également près de Saint-Guillaume. Nous sommes assis chacun sur une banquette distincte. Nos gardiens montent et nous démarrons en direction de Vif ; ainsi nous sommes conduits dans une ferme près de Saillants.
« On nous fait descendre et nous sommes alignés dans la cour.

« Pendant six heures, les boches nous frappent à coup de pieds, de talons, de poings ou de cannes.
« Estimant sans doute que j'étais le chef de cette expédition, ils me prennent à part et s'acharnent sur moi d'une façon toute particulière. C'est ainsi qu'ils me menacent constamment de me crever les yeux, et même tentent plusieurs fois de passer à exécution en jetant contre mon visage l'extrémité ferrée d'une canne de montagne. J'esquive les coups mais mon front porte encore l'empreinte de cette sauvagerie. Puis ils me déboîtent les épaules en me tenant fortement les coudes derrière le dos. Entre deux brutalités ils me répètent sans cesse cette éternelle question : « Es-tu de l'A.S. d'Alger ou de Londres ? » Je ne réponds pas.
« Vers 21 heures, on nous reconduit vers le car, après nous avoir retiré tout ce que nous possédons. Nous comprenons alors avec certitude que nous allons être fusillés. Quinze Allemands montent avec nous et nous conduisent sur la route de Saint-Guillaume, vers une ancienne cimenterie.
« On nous fait descendre de la voiture avec les brutalités habituelles. Nous nous réunissons autour de Jail, et au milieu des moqueries allemandes faisons à haute voix une courte et dernière prière.

« Jail demande ensuite pardon à Dieu et à nous tous. Les Allemands éclatent de rire : « les terroristes font toujours leur prière avant qu'on les fusille », disent-ils. Le lieutenant Foyard répond dignement : « nous ne sommes pas des terroristes ».
« Les Allemands nous font ensuite monter le long du ravin au fond duquel coule le torrent, et nous nous asseyons dans un pré, les uns à côté des autres, en silence.
« Le peloton d'exécution se met en place à 20 mètres de nous et nous restons sous la garde de cinq hommes. Le feldwebel s'avance et crie : « les deux premiers ». C'est le lieutenant Foyard et un jeune qui se trouvent ainsi désignés. Sans dire un mot ils se lèvent et, la tête haute, avec une dignité suprême, marchent vers le lieu d'exécution. Ils se mettent à genoux et sont aussitôt massacrés de dos par sept ou huit Allemands armés de pistolets ou de mitraillettes.
« Puis le feldwebel revient et dit : « deux autres ». C'est au tour de Jail et d'un second jeune. Jail se lève et emmène avec lui son malheureux camarade, leur attitude à tous deux est magnifique de simplicité, de grandeur et de résignation. On se sentait déjà dans l'irréel.
« Ils sont aussitôt fusillés dans les mêmes conditions.

« Pour moi, j'avais remarqué que le feldwebel, après avoir appelé ses victimes, relevait son pistolet. J'étais épuisé par la fatigue de ces Iongues heures de marche et par les mauvais traitements. Mes épaules déboitées me faisaient horriblement souffrir, mais j'étais résolu à tout risquer plutôt que de me laisser abattre comme un chien.
« Sur ma poitrine découverte, un Allemand aperçut une médaille. Il dit « catholique » avec un tel accent que je devine que mon gardien est d'origine russe. « Si tu crains Dieu, lui dis-je, rate-moi ». D'un signe il m'indique qu'il désavoue la barbarie allemande. « Ce n'est pas nous, dit-il, ce sont les Allemands. » Mais il est passif.

« Voici le Feldwebel qui revient : « les deux derniers », crie-t-il.
« Je fais semblant de me lever avec peine. Je serre violemment la main du dernier jeune qui était à mes côtés, un jeune de 17 ans. Le pauvre gosse ne comprend pas et avec résignation et étonnement attend la mort. Je surveille d'un coin de l'œil le revolver ; dès que celui-ci est levé, d'un bond, je m'élance de toutes mes forces sur le sous-officier, qui tire sans m'atteindre, je le bouscule et je parviens au bord du ravin, à 10 mètres de là, sous le feu des mitraillettes des soldats et du pistolet du feldwebel. Je saute dans l'à-pic, profond d'une dizaine de mètres. Un arbre, heureusement, amortit ma chute. Poursuivi par les coups de feu de tous les Allemands, qui commencent à descendre la pente, je traverse le torrent et commence à m'engager dans les buissons de l'autre rive. Je réussis à me dissimuler dans un trou parmi les ronciers, où je me recouvre de feuilles mortes, de terre et de boue.

« Après avoir cherché trop loin, les Allemands se forment en ligne et avancent en fouillant chaque mètre de terrain. Par deux fois le sous-officier passe près de moi sans déceler ma présence, grâce à la nuit tombante.
« Les hommes sont alors disposés en cercle autour de ma retraite, à quelques mètres les uns des autres. J'entends dire qu'ils vont aller chercher les chiens.
« Alors, dans la demi-clarté d'une nuit splendide, je décide de tenter le tout pour le tout. Je réussis à passer entre deux sentinelles, en direction du Sud-Est, vers l'Oisans. Je parviens au bord du Drac au début de l'après-midi du lendemain.
« Une vieille femme me rencontre, j'étais effrayant à voir : mon visage arraché par les coups allemands, par les épines, mes effets en lambeaux. Je suis aussitôt hébergé, soigné, nourri. Dans un petit village, je rencontre le curé. Il m'accueille et me conduit au passage du Drac. À 16 heures, je suis reçu par les F.F.I. qui me conduisent à l'officier commandant le secteur de la Mure et, de là, au commandant Bastide, à qui je fais mon rapport.

« Ma mission était exécutée. »

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 2, novembre 1947.

ROUMEGUERE le lundi 21 décembre 2015

Contribution au livre ouvert de Adrien Conus

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