Histoires de Français Libres - Radio Libre - Servitude obscure

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Radio Libre

 

Chapitre six : La Servitude est obscure

 

La France a été divisée en régions militaires. Raymond Fassin est DMR - Délégué Militaire Régional - pour la Région A, c'est-à-dire les départements du Pas-de-Calais, du Nord, de la Somme, de l'Aisne et de la Seine-Inférieure[1]. Au BCRA son nom de code est PIQUIER. Son équipe, parachutée avec lui: le lieutenant Michel Gries (BRULO), instructeur en sabotage, le radio Janin[2] (FLAMAND) préposé à la réception du BROADCAST, et moi-même -IROQUOIS - radio pour l'émission.

La mission du DMR consiste à coordonner les services de la France Combattante de sa région et ceux des divers mouvements de Résistance, tout particulièrement en vue du Débarquement.

La BBC a prévenu l'équipe de réception par le message personnel: "La Servitude est Obscure". Nous sautons dans la nuit du 15 au 16 septembre 1943, à 500 mètres au Sud-Est de Luxerois, à six kilomètres d'Is-sur-Tille[3].

Je flotte à la lumière de la lune, dans le silence étourdissant qui soudain succède à l'assourdissement des moteurs d'avion. Les mains sur les suspentes du parachute, je regarde les lampes du balisage qui se rapprochent, et dont l'une continue à envoyer en Morse la lettre G qui identifie pour l'avion le terrain, et lui indique la direction d'où vient le vent.

Félin j'atterris en douceur me dégage vite de mon harnais sort et arme mon pistolet rampe quelques mètres pour m'éloigner du point d'atterrissage regarde alentour et attends tapi entre les touffes d'herbe...

Deux ombres s'approchent du parachute, prononcent le mot de passe convenu. Je réponds. Ouf! On se tombe dans les bras! L'équipe de Christian Longetti, Alain Grivelet et son oncle l'abbé Grivelet nous accueille, nous réunit, nous emmène déjeuner au petit matin chez les frères Dorbon[4] à Tarsul. Fassin part aussitôt pour Lille, en éclaireur. Il nous fera signe dès que ses contacts pourront nous héberger là-bas.

En attendant, nous logeons chez les Dorbon, nous allons dans la forêt "jouer" aux hommes des bois. Faire comme si nous étions bûcherons. Ça n'a l'air de rien, mais quel travail pénible! Celui des Dorbon qui nous accompagne rit de nos efforts maladroits. A nous trois, nous produisons moins de bûches que lui, et le soir nous rentrons fourbus.

Voyage jusque dans la Drôme, à Dieulefit, où je sais pouvoir obtenir des faux-papiers parfaits, meilleurs que ceux fabriqués en Angleterre, avec état-civil authentique: "Vous pouvez venir vérifier sur les registres", dit le secrétaire de mairie! Mon accueil avait été préparé par des télés[5] échangés entre INDIEN[6] et Londres.

En passant par Paris, je vais voir ma mère, qui est sans nouvelle depuis mon départ en juin 1940. Contente de me savoir vivant, pas étonnée outre mesure de mes aventures - qu'elle devine plutôt, car bien sûr, je ne peux guère me raconter - elle en a eu avant moi, me dit de faire attention. Je lui laisse un peu d'argent, la vie n'est pas facile pour une vieille femme seule...

Visite aussi à Germaine Montet[7]. Son mari est mort d'une crise cardiaque en apprenant l'arrestation de son fils. Elle espère, par des relations, influer sur le sort de Maurice et de ses amis[8].

Paris et ses poteaux indicateurs allemands, ses uniformes allemands, ses drapeaux allemands. Je prends une photo de la rue de Rivoli: trois drapeaux à croix gammée suspendus au premier étage, au dessus des arcades. Une voiture allemande et quatre cyclistes - dont un vélo-taxi - se partagent la chaussée.

Je m'engouffre dans le métro, comme un brochet dans une nasse: barrage de flics français, sans doute à la pêche au Juif, ou au réfractaire au travail en Allemagne. Je franchis l'obstacle sans histoire grâce à ma nouvelle fausse carte d'identité: merci M. le Secrétaire de la Mairie de Dieulefit! Retour à Is-sur-Tille.

"Mi, me v'là din ch'Nord."

Enfin le signal du départ. Il y a un train Dijon-Lille, que nous prenons à Is-sur-Tille. Le 8 octobre on débarque à Lille, Gries, Janin et moi, où l'on nous mène dans une petite maison rue Jeanne d'Arc. Nous y sommes accueillis par Madame Astas et sa fille, toutes deux grandes et maigres, habillées de noir. Elles expriment des sentiments farouchement anti-allemands. De leurs yeux jaillissent des éclairs d'acier: il ne fera pas bon être l'ennemi le jour où elles passeront à l'acte!

Notre contact est le BOA Nord - Bureau des Opérations Aériennes - son responsable est Jean-Pierre Deshayes[9]. Il est bien implanté dans la région, où il a de bonnes relations avec divers mouvements de Résistance, et pour consigne de les mettre en rapport avec mon patron, le DMR[10].

Deshayes n'a pas de liaison radio, ce qui entrave l'organisation des parachutages et atterrissages. C'est pour cela qu'il nous a fallu aller sauter près de Dijon, alors que notre destination se trouvait dans son territoire[11].

En attendant d'être lui-même installé, Fassin prête son instructeur en sabotage et ses radios au BOA. Janin, muni d'un récepteur BROADCAST[12], nous quitte. Cloisonnement oblige.

René Bigot (CYPRIEN) nous emmène, Gries et moi, le lendemain à Landrecies, où nous sommes reçus par la famille Robert: le docteur Roger Robert, vétérinaire, patron de l'OCM[13] pour la zone Sud du département du Nord, sa mère, sa femme Guite et son fils Jean-Claude. Il y a là aussi Léon Héniaux, vétérinaire adjoint, et Henri Plantin, courrier.

Le 10 octobre, me voici enfin à pied d'oeuvre. Deshayes m'a fourni un poste de radio, deux plans d'émission: ATELIER NOIR et ATELIER VIOLET, et quatre télégrammes à transmettre. J'en rédige un autre où j'annonce notre bonne arrivée, et je l'encode. Je sors dans le jardin lancer mon antenne - un fil avec un caillou au bout - sur un pommier, je règle mon émetteur et je passe à l'écoute à l'heure du prochain rendez-vous. La Centrale y est. Je l'appelle, elle m'entend, elle a un bon opérateur: les cinq télés sont de l'autre côté en un clin d'oeil. Roger Robert est impressionné et moi, je jubile de me retrouver 'sur l'air' après quatre mois de chômage.

Transciever Mark A Type II. Il a appartenu a René Wanecque.

Il s'agit aussi de mettre en route le centre de transmissions du BOA. Deshayes me présente un radio qu'il a recruté. C'est René Wanecque, marchand de beurre à Beaurain. Un excellent opérateur, qui a travaillé au PC de la 4ème Armée, puis après l'armistice, au groupement des contrôles radio-électriques, dans le Massif Central. Je le mets au courant de notre façon de faire, et je lui donne un télégramme à transmettre: son examen de passage. Il est bien accueilli par Londres[14].

Son métier lui procure une bonne couverture pour ses déplacements, mais il y a une difficulté d'horaire: les rendez-vous de son plan d'émission ne correspondent pas toujours aux exigences des marchés et des livraisons. Et en plus, il n'a pas de montre pour être à l'heure aux rendez-vous de la Centrale. Impossible d'en acheter une: il y a longtemps que l'occupant a tout raflé dans les magasins.

Les relations avec les gens de la campagne environnante sont, bien sûr, excellentes. Le vétérinaire connaît tout le monde, le connaît bien. Les soins qu'il porte à nos amies les bêtes font une superbe couverture pour le transport du poste émetteur, enseveli sous les instruments et les médicaments. Parfois il rapporte à la maison un poulet, un canard, un lapin, un kilo de beurre, ou un fromage de Maroilles. Guite fait une cuisine de rêve: nous mangeons bien[15]. Vie de famille qui me va bien mieux que l'exercice de la clandestinité solitaire!

Guite Robert voyait sa maison envahie par des jeunes gens qui brandissaient des armes - cinq de plus à table? ah bon - qui partaient dans la nuit recevoir des parachutages, qui stockaient des explosifs dans sa cave, qui donnaient, sur sa table de cuisine, des cours sur le maniement de la mitraillette Sten (qui a parfois une faiblesse: partir toute seule - Paf! - par exemple dans le bras du fauteuil) ou qui établissaient des liaisons radio-électriques entre son salon et Londres[16]. Belle, blonde, calme, sans grandiloquence, elle assurait en toute simplicité l'intendance de cette base de la Résistance.

Roger Robert a une bonne équipe bien répartie sur un large territoire. J'émets un jour de la ferme d'Henri Godard, à Happegardes, un autre de chez son frère André, à la Groise; Soumillon, grand malabar de gendarme, m'offre l'hospitalité de la Gendarmerie de Bousies...

Londres n'attendait que la liaison radio pour lancer des opérations aériennes. Dans la nuit du 17 au 18 octobre 1943, on va chez Henri Godard, à Happegardes - le nom de code du terrain est MAINE - recevoir un parachutage. C'est la fête au petit déjeuner: cigarettes anglaises, vrai bon café, je croque du chocolat. Et en prime j'ai droit à quelques postes de radio, des mitraillettes, des grenades. À deux kilomètres, dans le Bois-l'Évêque, les Allemands dorment, sans doute fatigués de leurs travaux de construction d'une base de V2[17].

Télégramme à Londres pour demander l'envoi de deux montres, deux pneus pour mon vélo, et davantage de ces excellentes grenades incendiaires qui font beaucoup de fumée. Moins dangereuses pour le lanceur et plus impressionnantes pour la cible, elles me semblent bien adaptées à une éventuelle situation de fuite d'un opérateur radio coincé. Et pendant que vous y êtes, mettez donc moins de tabac et davantage de chocolat dans mon colis.

Fin octobre, je ne suis pas mécontent du travail accompli: un plan d'émission - ATELIER NOIR - mis en route, un opérateur mis au courant, plus de soixante télés transmis en vingt jours, dont une cinquantaine pour le BOA. Deshayes aussi devrait être heureux de se voir ainsi doté de transmissions, lui qui avait été en panne d'opérations aériennes les deux mois précédents faute de radio.[18]

Il y a des équipes de protections efficaces, des emplacements en nombre presque infini. J'ai rarement travaillé dans d'aussi bonnes conditions.

Michel Gries non plus, n'est pas inactif. Il enseigne les subtilités de l'explosif et le mode d'emploi de toute une quincaillerie méchante: ça, utilisé comme ça, ça déraille les trains, et de cette manière les pylônes électriques tombent. Celui-ci sur un piston de locomotive fait merveille. Et cet autre posé sur un moteur électrique le fait fondre. Cet aimant, avec un peu de 'plastic' dans sa cavité, posé sur le différentiel d'une voiture, énerve le conducteur le plus calme. Cette graisse abrasive use les essieux des wagons très vite, et celui-là, qui se déguise en caillou, est très drôle posé sur le chemin de l'Allemand. Gries a des recettes pour toutes les circonstances.

Travaux pratiques: un canal, allant de la Sambre à l'Oise, passe à Landrecies. À 1500 mètres au Sud-Ouest, surélevé par rapport à la campagne environnante, il franchit un petit cours d'eau, la Rivièrette, qui emprunte un siphon pour couler en dessous et s'en aller de l'autre côté.

Un client de Roger Robert possède, caché dans son foin, un petit stock de mines anti-chars qu'il avait ramassées au bord d'un de ses champs au moment de la débâcle de juin 1940 - on ne sait jamais, ça pourrait servir. Robert en emprunte deux. Gries en fait un sandwich avec au centre une livre de "plastic"[19], entourant un "time-pencil[20]" soigneusement enveloppé de deux capotes anglaises pour que l'eau n'y pénètre pas. C'est réglé pour le jeudi 11 novembre au soir, à l'heure de la séance de cinéma qui réunit la quasi totalité des habitants, témoins réciproques qu'ils étaient bien tous ici, alors que les affreux terroristes frappaient là-bas.

Le crépuscule tombé, une ombre submerge avec délicatesse un paquet dans le canal, au dessus de la voûte du siphon...

Plus tard dans la nuit, un raffut inhabituel réveille le gardien de l'écluse d'Ors: c'est la vis d'Archimède qui sert à remonter l'eau du bief d'en bas vers celui d'en haut, et qui grince parce qu'elle en manque.

Vendredi matin, le canal est vide, les péniches sont posées sur la vase. Les mariniers contemplent, les yeux ronds, cette marée basse imprévue. Le trafic intense - installations portuaires pillées à Rouen, en route pour l'Allemagne, gros tonnage de grain, et dans l'autre sens apports de matériaux pour la construction de la base de V2 du Bois-l'Évêque - est arrêté pour 45 jours. L'administration du canal fait un rapport - ce siphon était bien vétuste - dont une copie, photos à l'appui, est remise à l'autorité allemande, et une autre au BOA pour être envoyée en Angleterre[21].

Le 4 novembre je mets en route le deuxième plan d'émission du BOA, ATELIER VIOLET, pour ensuite pouvoir le donner à Wanecque. J'établis le contact et je passe cinq télégrammes pour le BOA. Tout content, après avoir reçu l'accusé de réception de la Centrale, je brûle les télés que je viens d'envoyer.

Merde! La microphoto du plan d'émission! Je viens de la brûler avec les papiers. Quel con! C'est pas irréparable, il y a d'autres plans. Mais ça fait désordre, une complication inutile.

Il me faut aller vers le Pas-de Calais, où je dois installer un deuxième réseau radio pour le BOA. En passant par Lille, j'avoue à Deshayes ma maladresse: j'ai détruit la microphoto d'ATELIER VIOLET en la brûlant accidentellement avec des messages expédiés à Londres.

Miracle! Il a recopié les microphotos et m'en fournit aussitôt une dactylographie. Soulagé mais intrigué: je croyais que les microphotos, c'était pour cacher, et détruire facilement - je viens d'en faire la démonstration! - les plans d'émission en cas de danger? Pour qu'ils ne tombent pas aux mains des Allemands qui pourraient s'en servir? Et voilà qu'il en existe des copies grandeur nature...? Mais, à peine arrivé à Arras, l'incident me sort de l'esprit: ici les choses vont mal et il me faut battre une retraite précipitée devant les arrestations en rafales. De retour à Landrecies, je donne à Wanecque la copie dactylographiée d'ATELIER VIOLET[22].

Fassin, mon patron, a bien du mal à s'installer. Il se plaint de la méchanceté les uns pour les autres des divers membres de la France Combattante[23]. Il voudrait qu'après avoir terminé l'installation du BOA, j'aille faire la même chose pour l'Armée Secrète dans la Somme[24]. Mais il lui est quasi impossible d'obtenir les logements, les points d'émission, les équipes de protection nécessaires.

Wanecque tombe malade. J'assure le trafic sur ATELIER NOIR. Ça ne me plaît pas beaucoup. J'ai l'impression d'être aspiré lentement mais surement du service de Fassin, que j'aime bien, à celui de Deshayes, avec qui j'ai peu d'atomes crochus. Sa façon de travailler ne me convient guère, et il me semble nerveux et fatigué[25].

Je n'ai aucune envie de me retrouver coincé à sa merci. Il est évident pour moi que Deshayes n'est pas heureux d'être chapeauté par un Délégué Militaire Régional, même s'il n'est pas fâché de se servir de ses radios et de son saboteur[26].

Lorsqu'un jour Deshayes m'apporte ses messages en clair, et qu'il me demande de les coder avant de les envoyer, je refuse. Les risques du radio sont suffisants sans y ajouter la connaissance de ce qu'il transmet. Deshayes, qui sans doute n'aime pas coder[27] non plus, n'est pas content. Il est irrité par mon manque de docilité. Comme je sais que mon air jeune invite l'abus de pouvoir, je n'ai d'autres défenses que l'insolence et le manque de tact: je suis le radio du DMR, pas le sien, et j'observe les consignes qui m'ont été données.

Moi aussi je suis irrité, de ne pas pouvoir travailler convenablement, et installer d'autres émetteurs, faute du soutien nécessaire, et d'être ainsi coincé au service quotidien du BOA, même s'il est vrai que l'équipe du Dr Robert fonctionne bien. Les deux vétérinaires sillonnent leur territoire sans encombre: leur profession fournit tous les Ausweis, leur clientèle tous les points d'émission, toutes les équipes de protection nécessaires. Pourquoi diable ne peut-on nous trouver ailleurs l'équivalent de cette organisation efficace?

Gries est parti depuis quinze jours dans une ferme isolée, la Ferme du Fil de Fer, de Raoul Pierson[28], près de Solre-le-Château, non loin de la frontière belge. Il y forme deux instructeurs en sabotage, FRISON et CARPEAU[29]. Janin reçoit le BROADCAST sans histoire. L'équipe fonctionne bien, mais pas pour son patron, le Délégué Militaire Régional.

Un jour que j'émets de chez Roger Robert, l'équipe de protection repère une camionnette qui vient de s'arrêter à une centaine de mètres, près du passage à niveau. ALARME! On perçoit sous la bâche quelque chose de brillant. Je transmets le signal AS - attendez - à mon correspondant. Pistolet dans une poche, grenade dans l'autre, la protection va voir de plus près. La camionnette est celle du frère du Docteur Héniaux, il est au bistro en train de boire un coup, et ce qui brille, c'est le guidon d'un vélo. Je rappelle mon partenaire londonien, et lui passe les derniers messages.

Londres nous envoie des instructions pour le temps du débarquement. Pour les radios il s'agit d'installer des points d'émission que l'on gardera en réserve et qui seront équipés de batteries d'accumulateurs et de générateurs/chargeurs à pédale, de façon à être en mesure de fonctionner lorsque le réseau électrique sera hors service. L'équipement nécessaire sera parachuté aux prochaines lunes. Serait-ce la Victoire, ce frémissement que je perçois, là-bas à l'horizon?

Un parachutage à la lune de novembre est l'occasion d'un autre accrochage avec Deshayes. Les containers, les paquets pour les radios[30] sont marqués clairement d'un triangle rouge et les consignes sont sans ambiguïté: ils doivent être remis intacts à leurs destinataires[31]. Or les nôtres sont ouverts.

L'euphorie qui règne sur le terrain parmi l'équipe de réception lors d'un parachutage réussi est bien compréhensible. Elle pousse facilement à croire que les cigarettes anglaises qu'on trouve dans les containers sont une récompense méritée, qui justifie la recherche. Mais là, ils charrient! Nous aussi on aime le chocolat! Et il est exaspérant de constater que les deux montres à destination des radios ont disparu. Wanecque n'a toujours pas l'heure exacte. Avec mon tact habituel, je râle.

L'OCM du Dr Robert produit aussi du renseignement. Des croquis, des photos, des histoires: base de V2 en construction du Bois-L'Évêque, radars de Vandegies, le dépôt d'essence d'Herbignies. La fille du garde-chasse de la forêt de Mormal apporte une description du dépôt de munitions BISMARK, de Locquignol. J'encode ce qui peut s'envoyer par radio, le reste partira par courrier lors d'une opération d'atterrissage.

Parfois ça attire l'oeil de la RAF. On est récompensé par un petit bombardement... Et à propos de la lune de décembre, pourriez-vous nous envoyer un jeu de pneus pour la voiture du vétérinaire? Et un Christmas pudding pour Noël nous ferait plaisir.

Fin novembre: arrestations dans l'OCM du secteur de Maubeuge. FRISON et CARPEAU, les instructeurs en sabotage formés par Gries, lui apportent la nouvelle à Landrecies: le propriétaire de la Ferme du Fil de Fer, où s'est fait leur entraînement, a été pris.

Wanecque, sur pied après sa maladie, reprend un plan d'émission. Nous ne sommes pas toujours d'accord sur la sécurité. Il a travaillé autrefois pour la gonio française et il est convaincu que c'est un procédé tellement lent que cela lui fait courir peu de danger. Par contre, il n'aime pas les équipes de protection qui, selon lui, attirent trop l'attention des voisins. Étre dénoncé est pour lui un risque beaucoup plus grave que la gonio. Il n'a pas tort de craindre les dénonciations, mais on doit pouvoir les maîtriser en ne laissant aucun doute sur le sort réservé à ceux qui s'y laisseraient aller. Je suis sûr que deux gars, bien réveillés pour surveiller les alentours, et armés en cas de surprise, sont nécessaires.

Je pense qu'il sous-estime la gonio allemande, qu'il m'est arrivé de voir se pointer moins de 10 minutes après un début d'émission, lorsque j'étais en zone Sud. Même si, ici, on n'en a vu aucun signe, et qu'il soit probable que les nouveaux plans, avec leur chassé-croisé de fréquences, d'heures de rendez-vous, d'indicatifs d'appel et de lieux d'émission, fassent apparaître aux services du KWU[32] notre trafic comme une infâme bouillie.

Grande discussion dans la cuisine, un soir, chez Robert. On parle de l'instituteur d'un village voisin: c'est un traître. Tous sont d'accord, il faut l'abattre. Il rentre en vélo chez lui tous les soirs à la même heure, par le même chemin. Je suis seul à posséder un pistolet silencieux: mon rôle est évident.

Nous sommes en décembre, la nuit tombe tôt. Fondus dans la haie qui borde le chemin, nous attendons. Le voilà! Quelqu'un arrive à bicyclette, sans lumière bien sûr, à cause du black-out. Un coup de lampe électrique. Merde! C'est un Chleuh, pas au programme, à qui la révélation imprévue de notre présence fout la trouille, à en juger par l'instabilité soudaine de son équilibre. Sans tomber pourtant, il disparaît dans la nuit vers son occupation privée. Notre cible n'apparaît pas. Il vaut mieux partir avant que notre Allemand n'ameute ses copains. Transis, on rentre.

Toute la nuit les bombardiers de la Royal Air Force, allant en Allemagne et en revenant, ont ronronné au-dessus de la maison. Éveillé, je pense à cet homme que je ne connais pas, et qu'il s'est fallu de peu que je ne tue, sans vraiment savoir pourquoi. Pourquoi est-ce que je pense à Bonnier de la Chapelle, qui a abattu l'amiral Darlan la veille de Noël, a été jugé le jour de Noël, et exécuté le lendemain de Noël? Au matin, sur les branches givrées, je trouve les rubans de papier d'argent, reste du brouillage anti-radar, semés par les bombardiers de la nuit[33].

Raymond Fassin nous appelle à Paris, Gries et moi. Les voyages en train sont pleins d'imprévus. L'exactitude de la SNCF n'est plus ce qu'elle était, avec tous ces terroristes qui abîment les rails, et ces aviateurs qui prennent les locomotives pour des pigeons.

Notre patron veut établir un contact entre nous et SECNORD, le secrétariat de la Délégation en Zone Nord. Grands sourires jusqu'aux oreilles! Le secrétaire est, bien sûr, toujours Daniel Cordier. Tous les quatre, nous sommes de l'époque de la France Libre, avant qu'elle ne devienne la France Combattante, et bien contents de nous retrouver. Petit repas de marché noir dans un des "points de chute" de Cordier, un studio au 36 de l'avenue Junot, à Montmartre. On dit pis que pendre de tous ces résistants tardifs récemment montés à bord - et on regrette le bon vieux temps où l'on ne côtoyait dans la clandestinité que des hurluberlus de bon aloi.

Retour à Landrecies. Deshayes m'amène un radio à mettre au courant. C'est un excellent opérateur, ancien de la Marine Nationale. Nous allons à Maroilles, chez Georges Hazembre, passer quelques télégrammes. Londres l'accepte aussitôt[34]. Il est arrêté peu de temps après, avant d'avoir pu prendre son service. On ne sait pas pourquoi[35].

Délire de rond-de-cuir londonien: on m'annonce la visite d'un Inspecteur des Transmissions! Les gros défauts de nos organisations clandestines amateurs sont déjà un cloisonnement insuffisant, une tendance à la bureaucratie centralisatrice, causes de saisies d'archives et d'arrestations en dominos, et voilà qu'on nous envoie un monsieur qui va se promener d'un opérateur à l'autre pour examiner - puisqu'il est inspecteur - les façons de travailler, et établir un rapport sur ce qu'il a vu, et sans doute en garder le double dans le tiroir de sa table de nuit... Il faudra que je fasse un effort pour ne pas être insolent envers M. l'Inspecteur.

Les arrestations de Maubeuge font tache d'huile. Les Allemands auraient saisi une liste des membres de l'OCM, légèrement codée, auraient trouvé enfantin de la mettre en clair: toute la Gendarmerie de Maubeuge, et plein de membres de l'OCM en taule.

Gymnastique.

ALERTE! Une voiture allemande s'arrête devant la maison du vétérinaire. Trois hommes en descendent, manteau de cuir verdâtre, feutres sur les yeux, pénètrent dans le jardin, frappent à la porte. Avec toutes les arrestations récentes, les nerfs sont à fleur de peau. Je glisse mon pistolet dans ma poche - je suis le seul "étranger" dans la maison aujourd'hui - et je sors sans bruit par la fenêtre qui donne sur le jardin du voisin, pendant que le docteur Robert ouvre sa porte aux Chleuhs. Je saute sur le toit d'une petite cabane accotée au mur mitoyen.

Je sais à présent ce qu'est le fibrociment: c'est un truc qui s'effondre lorsqu'on saute dessus. Je me sens tout bête au milieu des outils de jardinage, la porte est fermée à clef. Rétablissement sur le toit percé. Personne ne m'a vu. Je saute dans le jardin.

Mon pistolet? Ma main ne rencontre que ma fesse. Cette gymnastique l'a fait tomber hors de ma poche. Il est maintenant par terre à l'intérieur de la cabane. Aller le chercher? Rien ne permet l'escalade facile. Choix: 1) perdre du temps, faire du bruit, mais avoir un pistolet dans la main; ou 2) filer tout de suite, sans bruit, mais désarmé...

J'opte pour la fuite, moins héroïque mais plus discrète et efficace, qui va me permettre de chercher de l'aide, et de mettre à l'abri la pièce de valeur que je suis: ça coûte cher, un agent parachuté, surtout s'il sait faire quelque chose comme le sabotage ou la radio!

Je cours à ras de la haie. Au fond du jardin: une autre haie, transversale celle-là, aussi haute que moi. Je saute et roule par dessus. C'est la première fois que j'ai l'occasion d'utiliser cette façon de franchir un obstacle, enseignée à l'entraînement. Encore une haie transversale, sur laquelle je roule, et puis une autre. Maintenant le pré s'étend jusqu'au canal. Je suis hors de vue de la maison.

Je reprends mon souffle. Je marche jusqu'au canal, que je suis en direction d'Ors. Voici le siphon saboté, où s'affairent quelques ouvriers sous l'oeil d'une sentinelle allemande. En passant, je dis bonjour bien poliment. J'arrive chez Edmond Charpentier, qui m'escorte jusque chez Henri Godard.

Je retourne, avec précautions, armé à nouveau, accompagné des autres, chez Roger Robert. On s'arrête à la gare de Landrecies, juste en face, pour observer la maison. Les abords sont libres.

Il semble que la panique n'était pas justifiée. Les Allemands apportaient un morceau de viande et étaient venus demander au vétérinaire si le sanglier qu'ils avaient tué dans la forêt de Mormal lui semblait propre à la consommation. Ils étaient repartis, apparemment satisfaits des affirmations du Dr Robert: c'était bon à manger. Et le voisin, bien gentiment, sans rouspéter pour le toit percé de sa cabane, avait rapporté le pistolet qu'il avait trouvé parmi ses outils.

Hum. Ouais. Peut-être. Les Chleuhs s'agitent quand même beaucoup. Et si le sanglier n'était qu'un prétexte pour venir jeter un coup d'oeil sur les lieux?

Chaque jour apporte son lot de nouvelles arrestations. On a l'impression d'un filet qui se resserre. Toutes les nuits nous dormons ailleurs. Michel Gries et moi, on trouve la situation bien périlleuse, et on décide d'aller consulter notre patron. Mon dernier télégramme s'envole le 21 décembre.

Pour retrouver Raymond Fassin, il faut passer par Daniel Cordier, qui nous héberge dans son atelier glacé de l'avenue Junot, à Montmartre: pas de chauffage, mais Simone, son courrier, a trouvé une boîte de foie gras et une bouteille de champagne. On réveillonne ensemble. Le cloisonnement, c'est bien, mais c'est parfois bien lent. On n'arrive pas tout de suite à prendre contact avec Fassin.

Je rentre à Landrecies le 30 décembre, où l'atmosphère est toute d'inquiétude, en partie à cause des soupçons qui se portent sur Henri Plantin, le courrier de l'OCM. Grand, mince, brun, avec une petite barbe pointue qui allonge encore le triangle du visage, culottes de cheval, toujours chaussé de bottes brillantes, prenant grand soin de son image. L'air dynamique, il parcourt le pays pour l'OCM. Dans l'atmosphère tendue créée par les arrestations, il est devenu l'objet de soupçons. Son comportement semble parfois curieux, ses absences mal justifiées, ses explications pas tout à fait satisfaisantes. Certains suggèrent qu'on le supprime. Il me semble peu probable qu'un jeune homme d'une intelligence normale passe ainsi aux côtés des Allemands alors que ceux-ci sont en train de perdre la guerre!

Tout de même, histoire de changer de fréquences, d'indicatifs d'appel, et d'heures de rendez-vous avec la Home Station, je mets en route un nouveau plan: TRIANON NOIR. Roger Robert et moi allons coucher tous les soirs chez Henri Godard. Madame Robert va dormir avec Jean-Claude, son fils, chez les Plaisin. Cette situation ne me plaît pas. Il est absurde pour un radio de travailler dans ces conditions. Je passe les trois derniers télés reçus de Deshayes le 7 janvier 1944, et je prends le train pour Paris.

Sicherheitsdienst.

Le 8 janvier 1944[36], aux premières heures, à Landrecies, le SD frappe[37]. Henri Plantin s'est vendu aux Allemands et il a dénoncé Roger Robert et les siens. Henri, notre compagnon, notre commensal, pour du fric, a donné ses potes à la gestapo[38].

Henri Godard, essayant de fuir, est abattu devant sa femme Hermance, et devant son fils de douze ans. Elle est arrêtée[39]. Roger Robert[40], qui dormait chez eux, aussi. Et Raoul Legrand[41] leur commis. André Godard[42] est pris dans sa ferme de la Groise, et je ne sais combien d'autres.

Léon Henniaux[43] dort à Landrecies dans la maison du vétérinaire. Une brique lancée à travers la fenêtre le réveille à 3 heures du matin. Une vingtaine d'Allemands sont devant la porte. Il leur dit qu'il descend ouvrir, et va vers l'arrière avec l'intention de sauter et s'échapper. Il voit au clair de la lune que la maison est cernée. Les Chleuhs l'arrêtent, mais ils laissent tranquille la mère de Roger Robert qui dormait aussi dans la maison.

Madame Robert et son fils Jean-Claude, qui avaient eu l'esprit d'aller dormir chez les Plaisin, s'échappent avec Paulette, et s'en vont à Paris. Paulette et Michel Gries, qui s'entendaient bien, s'y retrouvent: ainsi nous apprenons la catastrophe.

Il n'est plus question de retourner à Landrecies. Le 15 janvier, enfin, Gries et moi retrouvons Fassin. Il est bien content que nous soyons sortis à temps de ce guêpier, mais il est toujours aussi amer et furieux de ne recevoir quasiment aucune aide des diverses organisations censées le soutenir - Mouvements de Résistance, BOA Nord, etc.. -

Pas de recrues pour les équipes de sabotage ou pour les réseaux radio, pas d'emplacements pour les émissions ou pour apprendre le maniement des armes, pas de matériel[44]. Les courriers vers Londres ont de tels retards qu'ils perdent leur utilité. Pas d'argent non plus: Fassin est obligé d'emprunter.

Pas même de logement pour Michel Gries et moi: nous habitons chez Daniel Cordier, qui est bien bon d'ajouter aux siens les risques que cela comporte. L'excellente organisation du docteur Robert dont nous avons bénéficié à Landrecies - au service du BOA - n'a son équivalent nulle part ailleurs, semble-t-il... Ça me rappelle étrangement les difficultés logistiques du Secrétariat de Lyon, lors de ma première mission[45].

Michel Gries, le saboteur-instructeur, est aussi frustré que Fassin et moi de ne pas pouvoir travailler. Fin janvier il a enfin un contact, par le BOA. Un chauffeur d'une entreprise de Pompes Funèbres et son groupe voudraient faire sauter une écluse de canal.

Michel constate que l'écluse débouche sur un cul de sac, il n'a pas le coeur de décourager leur bonne volonté en faisant des remarques sur le peu d'utilité de l'opération. Il faut attendre le matériel nécessaire. Avant qu'il n'arrive, les Allemands troublent la fête. Arrestations. Michel Gries se dégage et rentre à Paris.

Encore un tuyau, à St Quentin cette fois-ci. Il paraît qu'il y a là une équipe bien organisée et qui n'est rattachée à aucun Mouvement. Las! Michel découvre que son contact est parti pour le Massif Central, sans dire quand il rentrerait. Retour à la case de départ[46].

Le Broadcast de Janin fonctionne bien. Son service, uniquement d'écoute, ne fait courir presque aucun risque à ceux qui l'hébergent. Les télégrammes qu'il reçoit viennent de Londres.

Leur décodage révèle parfois des textes étranges: certains contredisent les précédents, d'autres donnent des instructions absurdes[47]. Fassin à Londres,1.1.44: "...je ne comprends pas le sens de votre câble envoyé à Janin dans lequel vous lui dites de se considérer aux ordres de Cheveigné. Ceci me semble contraire aux instructions reçues lors du départ. Aucun contact n'existe entre Janin et Cheveigné et il me semble que c'est très bien ainsi."

On reçoit des répétitions lassantes de consignes évidentes, simplistes: Londres à Fassin, 7.3.44: "...conservez règles de cloisonnement..."

Au début de janvier, Raymond Fassin me montre un télé reçu de Londres: ils se disent mécontents de moi - Deshayes s'est plaint - et ils demandent à Fassin de m'engueuler. Ils annoncent une enquête de l'inspection des Transmissions. On se regarde. Qu'est-ce encore que cette histoire?

Entrevue avec l'inspecteur des Transmissions Fleury. Fassin lui explique: 1) Je suis le radio de sa mission, et non pas celui de Deshayes. 2) Il est satisfait de mon service. 3) Le plus gros de mon travail a été jusqu'ici accompli au profit du BOA Nord de Deshayes, que mes émissions ont sorti du marasme où il était plongé - dû au manque de communications - avant notre arrivée. 4) Il partage mon impatience envers le BOA Nord, dont l'incompétence bordélique est l'obstacle majeur à l'accomplissement de notre mission. 5) Il regrette mon manque de tact, mais il le comprend bien[48].

D'autres messages donnent à Gries des objectifs à saboter: raffineries d'alcool, dépôts de cuirs, de caoutchouc, de chiffons. Mais il n'a pas le soutien nécessaire pour réaliser ces actions.

Londres nous apprend que l'avion qui s'est présenté dans la nuit du 10 au 11 décembre pour y parachuter du matériel radio à nous destiné n'a trouvé personne pour le recevoir sur le terrain DOUBS. Et qu'une erreur de largage lors de la même opération à la lune suivante a fait qu'une équipe anglaise a reçu ce qui était pour nous.

Sur le terrain COUESNON aussi, du matériel nous est arrivé, mais il a été remis à une autre équipe de transmissions.

Le moral vole bas. Cette guerre devient emmerdante. Rien à voir avec l'aventure des jeunes illuminés de 1940, que les sains d'esprit savaient alors sans espoir. Les amateurs fantaisistes de la France Libre sont submergés par les "professionnels" de la France Combattante, par les militaires giraudistes[49] en mal de repeindre leur image de vaincus, par les gens raisonnables qui découvrent que la résistance peut rapporter gros, par les obsédés de la hiérarchie et de la domination, par les habiles qui entendent croquer les marrons que d'autres ont tirés du feu[50]...

Fin janvier 1944, je suis toujours les mains nues, las de ne rien faire. Depuis notre arrivée il y a quatre mois le BOA ne nous a pas donné un seul poste émetteur, les mouvements de résistance pas fourni un seul point d'émission ou de logement pour établir les services du Délégué Militaire Régional, mon patron. Le seul travail que j'ai été en mesure d'accomplir a été pour le compte du BOA.

Je ne comprends pas bien ce qui se passe. Un radio est trop subalterne - même si sans lui le répertoire de tous ces ténors de la Résistance serait bien mince - pour prendre part à ces querelles qui agitent les chefs[51]. Se battre contre les Allemands au milieu de l'hostilité de ses compagnons d'armes, c'est quand même beaucoup. Mon dieu, protégez-moi de mes amis, mes ennemis, je m'en charge...

J'en ai marre. Je demande mon retour à Londres[52]. Je suis dix-neuvième sur la liste d'embarquement pour les opérations d'atterrissage. Si ça marche comme les parachutages...

En attendant mon envol je glandouille dans Paris, puisqu'il n'y a rien à faire pour le bon radio que je crois être[53].

Les raids aériens sont de plus en plus fréquents, anglais la nuit, américains le jour. Debout sur la place de la Concorde, j'aperçois hauts dans le ciel, vers l'Ouest - Renault la cible? - des formations de bombardiers entourées des petits nuages de la DCA. Grondement confus des moteurs et des explosions. Nous sommes plusieurs à regarder le spectacle. Un cri, mi-gémissement mi-soupir: un avion vient d'être touché, coupé en deux, sa queue tombe assez vite, et l'aile, feuille morte argentée, tourne et brille dans le soleil, oscille, se balance, menace de sa gesticulation les deux ou trois parachutes qui se sont ouverts...

Minuit dix. Le couvre-feu commence à minuit. Je sors de la station de métro Abbesses. Je reviens du cinéma et, bêtement, je n'ai pas fait attention à l'heure. J'ai quand même une bonne chance d'arriver avenue Junot sans histoire: il n'y a guère de patrouilles allemandes sur la colline de Montmartre.

Devant le Moulin de la Galette, deux flics. Ils m'interpellent. Papiers. Questions. Je n'aime pas leurs gueules. Leur nuit est longue et toutes les distractions sont bonnes pour passer le temps. Ces deux connards ont l'intention de m'emmerder.

Tap tap tap: écho, qui se rapproche, de semelles de bois[54]sur le trottoir, une silhouette féminine vient de tourner le coin de la rue, à cinquante mètres. C'est plus amusant que moi. Les forces de l'ordre me laissent tomber et courent, pèlerines flottant derrière eux, vers la jupe.

Cordier, qui m'héberge toujours à la mi-février 1944, dit qu'à la suite d'arrestations autour du Secrétariat il fait malsain, et qu'on devrait se mettre au vert une ou deux semaines. Je raconte la chose à Fassin, et je lui dit que j'étais las de courir les risques de la clandestinité pour du beurre, que je ne serais pas fâché d'une dizaine de jours de repos, à l'abri, s'il n'a toujours pas de poste émetteur pour moi, ni d'opération d'atterrissage mûre, pour mon retour en Angleterre. Il n'y a rien et il pense que ça n'est pas une mauvaise idée de saisir, comme ça, quelques jours. Daniel invite Simone, belle et fidèle courrier de SECNORD, au Cap d'Antibes, où Roger Vailland a une maison qu'il prête à Daniel.

Pas un chat sur la Côte d'Azur, les plages sont minées, entourées de barbelés. C'est les vacances. Daniel aux journées interminables, toujours trop courtes, courant dès l'aube d'un rendez-vous à l'autre, avec encore des textes à coder alors qu'il tombe de sommeil tard dans la nuit, Daniel fait la grasse matinée, petit déjeuner au soleil sur la terrasse, soleil de février tout juste assez chaud pour se baigner dans ses rayons.

Daniel Cordier, Juan les Pins 1944.

Non seulement nous n'avons rien à faire, mais la tension du danger a disparu. La menace permanente d'être arrêté chez soi au milieu de la nuit, de la malchance d'être pris dans une rafle de la police française visant à capturer le Juif, le réfractaire au travail obligatoire en Allemagne, la menace est à 1000 kilomètres. Sans doute y a-t-il alentour autant d'Allemands méchants, de clandestins qui complotent. Rien ne nous relie à eux: pas de rendez-vous, je n'attire pas l'attention avec mon agitation radio-électrique: nous sommes sortis de la guerre, détendus, nous respirons profondément.

L'auteur à Juan les Pins en 1944.

Promenade dans l'arrière pays. Un vigneron, éleveur de raisin de table, nous montre sa grange ingénieuse: à perte de vue des étagères avec dessus des bocaux remplis d'eau et d'un peu de charbon de bois. Des fils de fer soutiennent les grappes de raisin, la queue dans l'eau. Ça permet de bien les mûrir et de les conserver au-delà de la saison normale, et ainsi d'en obtenir, lorsque la paix règne, un bon prix. Il y en a là des tonnes, et pas un acheteur, sauf moi qui fais l'emplette d'un kilo et l'offre à Simone.

Simone, courrier du SEC-NORD.

Excursion jusqu'à Monte-Carlo, quasi désert. Les gens riches ont les moyens de s'éloigner davantage de la guerre. Mais le casino est ouvert. Aucun de nous n'a jamais joué. On va voir? À la porte, je suis bloqué par un garde qui dit que je ne suis pas majeur, donc interdit d'entrée. C'est vrai que mes papiers d'identité n'avouent que 17 de mes 23 ans.

Retour méfiant à Paris, où je retrouve Fassin. Daniel Cordier doit rentrer en Angleterre. Vingt-et-un mois se sont écoulés depuis son parachutage. Il passera sans doute par l'Espagne.

Pour Fassin les difficultés continuent: manque d'argent, de matériel, soutien inexistant[55]. Malgré tous les obstacles, il se démène. Début mars 1944 il trouve, enfin, un contact en Seine-Inférieure pour Michel Gries[56]. ROCHET y a quelques petits maquis. Dans celui de Buchy, Michel trouve une équipe à instruire. Puis une autre, sous les ordres de M. Flambard, propriétaire d'une scierie à Neufchâtel-en-Braye.

Travaux pratiques: fin mars, avec André Mallet et trois hommes de Buchy, Michel emprunte la traction avant de ROCHET pour aller à Dieppe un soir. Ils font sauter le cylindre droit[57] de seize locomotives dans le dépôt, et s'en reviennent sans encombre[58].

Pour la radio aussi, ça semble aller mieux. Fassin trouve à Lille, fin février, un contact[59]. Il me demande d'aller reconnaître des emplacements pour que l'opérateur promis par Londres puisse s'y glisser à son arrivée.

Evidemment j'accepte. Y aurait-il, enfin! moyen de travailler? Navette entre Paris et Lille. C'est aléatoire, les chemins de fer sont une cible favorite de tous: saboteurs, pilotes de chasse et mitrailleurs de bombardiers, sans compter les bombardiers eux-mêmes[60]...

L'inspecteur des transmissions Fleury nous annonce la venue d'un opérateur radio, GALLOIS, pour me remplacer. Il vient de la zone Sud où une vague d'arrestations a menacé sa sécurité.

Peut-être découragé, comme moi, par le manque de matériel et d'organisation, GALLOIS refuse de travailler et disparaît[61].

Le 15 mars 1944, deux agents parachutés de Londres, CHARRUE et FAUCHEUSE, venus pour être adjoints de Fassin pour le sabotage, et qui lui apportaient un million de francs, du courrier, des plans de transmissions et des codes, se font prendre dans le métro par la Feldgendarmerie[62].

Le BCRA à Londres, sans doute toujours surmené, énervé, continue sa gesticulation télégraphique par le truchement du Broadcast. Les messages futiles se succèdent. Alors que nous essayons de rétablir un contact radio avec eux, Fassin reçoit un télégramme[63] annonçant que je n'ai plus aucune mission de leur part! . Fassin répond[64] que je suis en train de travailler pour lui, et qu'il n'a personne d'autre. Mais l'espoir de se servir de ces emplacements s'estompe: Fassin à Londres. 22.3.44: "...Par suite accidents opérations successifs et mauvaise volonté BOA ne suis encore possession aucun appareil émetteur aucun plan".

Les jours passent, les promesses ne se réalisent pas. Je suis de plus en plus las de la pagaille et des conflits stériles des trois derniers mois.

Le 1 avril 1944 Fassin, et Solange sa secrétaire, sont arrêtés à Paris, dans la Brasserie St. George, rue Notre-Dame de Lorette.

A Lille, le 4 avril, je ne l'ai pas encore appris. J'attends dans un café en face de la gare l'heure du train qui doit me ramener à Paris pour les rejoindre. J'ai encore en poche les télégrammes que j'avais apporté dans l'espoir de pouvoir les transmettre...

[1] À présent Seine Maritime.
[2] Je ne suis pas sûr que ce soit son vrai nom. C'est peut-être Jans, ou Jeannin.
[3] Archives: Programme BOB 62, terrain VENDEE, chargement: 4 agents: PIQUIER, FLAMAN, IROQUOA, BRULO, 3 paquets vêtements, 3 récepteurs broadcast. Lettre: G, Phrase: La servitude est obscure. Observations: succès.
Pilot's report: BOB 62. The lights were good and the load was dropped on the reception. (Rapport du pilote: "Les signaux lumineux étaient bons et le chargement a été largué sur le balisage)
[4] Les frères Dorbon seront plus tard arrêtés par les Allemands. L'un d'eux se suicidera dans sa cellule.
[5] Londres à INDIEN. 11.9.43: "Indiquez d'urgence si LUG alias FRANÇOIS (Cheveigné) peut contacter sans danger je répète absolument sans danger Monsieur Boisjeol à Dieulefit. Merci pour lui. Amitiés de votre ancien compagnon."
INDIEN à Londres. 12.9.43: "LUG peut contacter BOISJEOL à Dieulefit sans danger. Région constitue mon réseau de réserve. Amitiés de ma part."
[6] Claude Wolf (INDIEN, BUICK), un radio recruté en France, et que j'avais mis au courant lors de ma première mission.
[7] La belle-mère de Maurice Montet - BRANDY.
[8] Sans succès. Maurice Montet reviendra de déportation, la peau et les os, sur un brancard; Maurice Yahiel mourra en Allemagne; Suzanne Poncet, libérée de Fresnes parce que malade, mourra peu après; Jean-Louis Mérand, le radio, mourra en Allemagne; Marius, de son vrai nom Basso Vanni, rentrera de déportation.
[9]) Pseudos: ROD, GRAMME, JEAN-PIERRE... d'autres sans doute.
[10] Courrier de Londres à Deshayes. No 1 Nouvelle série": ...un chef de région militaire (Fassin) arrivera dans votre région cette lune nous vous demandons de faciliter le plus possible l'exécution de sa mission en lui fournissant les contacts avec les Mouvements que vous avez et dont il pourrait avoir besoin. Quand Fassin sera tout à fait au courant et en relation avec les différents Mouvements qui opèrent dans votre région ce sera par son intermédiaire et non plus par celui de Pichard que vous serez en relation avec les chefs de Mouvements..." BCRA 184 pièce 4.
[11] Télés de Londres à Deshayes.11.9.43: "...Nous n'avons pas à ce jour reçu de vous aucun programme d'opération pour septembre...7.10.43: ... nous n'avons à nouveau reçu aucun programme de vous à ce jour..." BCRA 184 p.4
[12] Nom du service de transmission des télégrammes dans le sens Angleterre-France, et qui permettait à l'opérateur qui les recevait de le faire sans avoir à émettre.
[13] Organisation Civile et Militaire. Un mouvement de Résistance.
[14] BCRA. Note pour Hutchinson: 13.10 1943. "Affectation de pseudo MOLDAVE et code #169D à nouveau radio recruté par Cheveigné."
[15] Facteur vital: notre bonne condition physique fera sans doute beaucoup pour notre survie à la faim du camp de concentration, à Robert, à son équipe et à moi.
[16] Plus tard, lorsque la gestapo a frappé l'OCM, Guite, toujours calme, l'a esquivé, emmenant son petit garçon par la main, à l'abri. "J'ai eu peur", m'a-t-elle dit après la guerre.
[17] V2: fusée destinée à bombarder Londres. V pour Vergeltung: représailles.
[18] Courrier de Deshayes à Londres. 11.11.43: "...7) Transmissions. Ce réseau fonctionne momentanément avec le personnel de Fassin... 8) au point de vue opérations le bloc Nord a eu en octobre des résultats sensiblement meilleurs. Cette amélioration est le résultat de la mise en place du réseau transmission. C'est seulement à la condition d'avoir des transmissions solides qu'il est possible de travailler". (Merci pour ces bonnes paroles! Rares sont ceux qui reconnaissent ainsi le rôle du radio dans leur travail...).
[19] Explosif qui ressemble à du mastic.
[20] Détonateur à retardement en forme de crayon.
[21] Rapport du Lt Gries. BCRA 482 pièce 21.
[22] Lorsque j'ai revu René Wanecque en 1981, il avait encore en sa possession un poste A Mark II, la photo miniature d'ATELIER NOIR, et la dactylographie d'ATELIER VIOLET.
[23] Courrier de Fassin à Londres. 6.10.43: "...pénibles discussions avec Pery et Bouchiney-Serreules contrastent avec la correction de Daniel Cordier..." Courrier du 17.10.43: "...en un mot, j'ai constaté avec une vive surprise, après juste trois mois d'absence, que le milieu de la France Combattante à Paris ressemblait étrangement à un Mouvement de Résistance par la méchanceté dont faisaient preuve les uns pour les autres ses divers membres."
[24] Courrier No2 de Fassin à Londres (Nov?): "...Cheveigné a réalisé dans le Nord la mise en place d'un des deux réseaux d'émission du BOA Nord. Procède actuellement à la mise en place du 2ème réseau d'émission. Sera, lorsqu'il aura fini de travailler pour le BOA, installé dans la Somme, où il montera le premier réseau d'émission de l'Armée Secrète".
[25] Courrier de Deshayes à Londres. 11.11.43: "...10) J'aimerais avoir la possibilité de me retremper quelque peu. Bien que je sois en excellente condition physique, je suis néanmoins fatigué et ne possède plus toujours l'énergie souhaitable". Courrier du 6.1.44.: "...mon état de fatigue non point physique mais uniquement nerveux. C'est avec une certaine impatience que j'attends mon remplacement car à certains moments je ne me considère plus en mesure de remplir ma tâche..."
[26] Courrier de Deshayes à Londres. 11.11.43....5): "...Mise en place de l'officier de région Militaire (Fassin) est longue et difficile et ne facilite en rien la tâche du service Opérations"...)
[27] Ou peut-être n'a-t-il pas maîtrisé cette façon de coder? On pourrait le penser à la lecture d'un message de Kay Moore à Valois, du 10.10.43: "M.Marks (l'expert des codes) m'a chargé de vous demander de vouloir bien passer un message à Gramme en lui demandant de se servir de son code à clefs préparées dans leur ordre et aussi de couper la soie après." Cela expliquerait peut-être que Wanecque non plus ne semble pas bien maîtriser ce système de codage, puisque c'est Gramme qui lui a donné son code.
[28] Arrêté en décembre 1943, déporté à Buchenwald, rentré en avril 1945.
[29] CARPEAU est le pseudonyme de Maurice Coupez, de Louvroil.
[30] BCRA Londres: "...Paquet A pour les transmissions: 5 lb de café, 2 lb de thé, 4lb de tabac, 4 lb de cigarettes (1000), 4 lb de chocolat, 3 lb de sucre, 3 lb de saindoux ou margarine, 4 lb de viande en conserve, sardines ou autres bonnes conserves, 4 lb de lait condensé, 3 lb de savon, plus des armes. Paquet B: 10 lbs de café, etc.. Les paquets devront porter la marque Transmissions.
[31] Note du BCRA à Mariotte. 1.9.1943. "Nous attirons votre attention sur ce que désormais tous les colis destinés aux services de transmissions seront marqués d'un triangle rouge plein et d'un numéro de paquet, marquage qui sera exclusivement réservé à ces services. Il appartient donc aux responsables de donner des ordres pour que les colis ainsi marqués ne soient sous aucun prétexte ouverts par d'autres que par leur destinataires des transmission. BCRA 184, pièce 4.
[32] Kurzwellenüberwachung. La gonio allemande.
[33] Le traqueur de la défense contre avion émet une onde radar, qu'il capte et mesure après qu'elle ait rebondi sur l'avion, ce qui lui permet de calculer la position de l'avion dans le ciel. La parade consiste pour l'avion à répandre des fragments de feuilles d'aluminium qui eux aussi réfléchissent l'onde radar: ces données parasites brouillent les calculs de la DCA.
[34] BCRA 14.12 43. Pseudo BIRMAN attribué opérateur recruté par Cheveigné.
BCRA 265 pièce 4. 18.12.43. code #69 envoyé à Cheveigné en Novembre a été donné à l'opérateur BIRMAN..
[35] Plus tard, alors qu'il était à la prison de Loos, George Hazembre a aperçu BIRMAN, sans avoir la possibilité de lui parler, dit Heniaux. Robert affirme que BIRMAN dit avoir été arrêté avant d'avoir jamais pu émettre. Je ne connais pas le vrai nom de BIRMAN.
[36] Date donnée par H. Henniaux. Roger Robert qui pense que c'était le 4, me semble plus incertain. Mais tous les deux me disent que je suis parti la veille du raid du SD.
[37] Sicherheitsdienst: service de sécurité du parti nazi.
[38] Il aurait dénoncé une centaine de personnes, mais n'en aurait avoué que 35 à son procès, celles qui sont rentrées de déportation. Après la guerre il aurait été condamné à mort, peine réduite à vingt ans, puis à cinq ans, amnistié en 1952. Le procès aurait eu lieu fin mai/début juin 1946. (L. Hénniaux)
[39] Morte en déportation.
[40] Déporté en Allemagne
[41] Déporté en Allemagne
[42] Déporté en Allemagne
[43] Déporté en Allemagne
[44] L'escadrille 161 de la RAF, spécialisée dans les opérations de parachutage et d'atterrissage a subi, en décembre 1943, de lourdes pertes. Ajoutées au mauvais temps de janvier et février 1944, il y eut peu d'opérations aériennes.
[45] Fassin à Londres. Courrier du 1.1.44: "...après avoir utilisé Gries et surtout Cheveigné et Jeannin pendant plus de deux mois, Deshayes s'avère incapable maintenant qu'il croit n'en avoir plus besoin, de les abriter pendant les quelques semaines qui m'étaient encore nécessaires pour les reprendre complètement et directement sous mes ordres."
Fleury (Inspecteur des transmissions) à Londres. Courrier du 9.2.44: "...vous savez que la pénurie de matériel est une des causes du fonctionnement incomplet ou irrégulier de certains centres de transmissions. Ceux qui travaillent le font avec un ou deux postes... les méthodes de certains services - notamment de BOA Centre où les rendez-vous ne sont jamais tenus, où la livraison de matériel n'est effectuée qu'après les plus énergiques protestations - rendent assez aléatoire l'espoir d'un travail régulier... Si nous en croyons Fassin - et nous n'avons pas de raison de ne pas le croire - un désordre du même genre règne chez Deshayes..."
Londres à SECNORD. Télé du 21.2.44: "Recevons câbles de Fassin nous informant que par suite décomposition des groupements en région A il rencontre de grosses difficultés pour constituer équipes de sabotage..."
Fassin à Londres. Télé du 24.2.44. "Si sections britanniques et américaines rendent compte c'est que primo elles reçoivent du matériel émission secundo elles ne sont pas obligées comme nous d'emprunter de l'argent pour travailler tertio elles ont des opérations d'enlèvements aériens et maritimes permettant le départ fréquent de leurs courriers quarto elles sont plus favorisées en contacts personnels et introductions quinto leurs missions n'ont aucun caractère commun avec les nôtres ne s'appuyant pas essentiellement sur des organisations de Résistance."
Londres à Fassin. Télé du 22.1.44: "Avons absolue certitude collusion dirigeants OCM avec gestapo... apportez la plus extrême prudence à vos contacts avec l'OCM..."
Fassin à Londres. Télé du 29.2.44: "...C'est l'OCM qui par les arrestations multiples dont elle est victime depuis mon arrivée sa mauvaise organisation son absence de discipline son manque de cadres compétents..."
[46] Rapport de fin de mission du lieutenant Michel Gries.
[47] BCRA Londres.Le commandant Manuel au commissaire à l'Intérieur E. d'Astier. 8.2.44: "...2) La situation du personnel sédentaire est effroyable, tant en ce qui concerne les officiers que les sténos et le petit personnel. Toutes les sections sont, à l'heure actuelle, submergées de travail et sont impuissantes à l'accomplir par manque de moyens. L'effort qui leur est demandé augmente chaque jour et ne cessera de croître jusqu'au jour de l'invasion et après. Ce n'est pas en travaillant 10 heures par jour, en ne prenant jamais de dimanche ni même de vacances - comme c'est le cas actuellement - que le personnel pourra non seulement tenir, mais assurer le minimum indispensable..."
BCRA Londres. Rapport. 12.2.44: "...Le lieutenant de vaisseau Valois m'a rendu compte de ce que par suite de l'insuffisance en nombre du personnel de la section Transmissions (5e bureau) il ne pouvait plus assurer désormais la bonne marche de son service. Le personnel est surmené, énervé, et les erreurs les plus regrettables sont désormais à craindre..."
[48] Inspecteur des transmissions Fleury à Londres. Courrier du 9.2.44: "...Cheveigné a pu commettre quelques incorrections vis-à-vis de Deshayes. Ce qui est certain c'est que Fassin se déclare très satisfait de lui. La conclusion de notre enquête serait donc de confier un plan de transmission de Fassin à Cheveigné et de couper ses rapports avec Deshayes."
(Fleury a l'air d'oublier que je suis déjà le radio de Fassin, ayant été parachuté avec lui pour cette mission!)
[49] Le général Giraud, soutenu par les Américains, se voulait concurrent du général de Gaulle, et essayait de prendre sa place. Il n'était pas sans disciples à Londres, à Alger et en France.
BCRA #9. Londres le 8 février 1944. Le commandant Manuel au Commissaire de l'Intérieur E. d'Astier. "Je tiens à attirer votre attention sur la différence de situation entre les officiers des FFC et ceux issus de l'armée Giraud travaillant à Londres. Les seconds perçoivent la même solde que les premiers, mais, étant considérés en mission reçoivent une indemnité journalière... qui a pour seul résultat de donner aux officiers giraudistes la possibilité de se répandre dans les salons et dans les bars et de faire une propagande qui n'est pas précisément celle que nous voudrions."
[50] Le début de ce que Claude Bourdet appellera "La ruée vers la Résistance tardive."
[51] C'est après la guerre, en lisant ces mêmes ténors, en consultant les archives, que j'ai découvert ce qui séparait les communistes, partisans d'une guerre dure, d'un André Grandclément de l'OCM qui voyait des mérites à l'anti-bolchevisme nazi, en passant par ceux qui auraient volontiers fait un croche-pied à de Gaulle par amour pour les Etats-Unis d'Amérique.
[52] Télé de Fassin à Londres,26.1.44: "...Cheveigné demande son retour à Londres..."
[53] Les archives ne m'ont pas révélé le nom d'un autre radio du service Action du BCRA qui soit mon égal en termes de durée de vie clandestine ou de nombre de télés transmis...
[54] La pénurie de cuir - pillé par les Allemands - faisait que beaucoup de souliers étaient à semelles de bois
[55] Londres à SECNORD: "...Fassin nous signale que sa région n'a pas reçu de fonds pour les maquis. Les hommes obligés de se rendre faute de nourriture et de vêtements. Fassin réclame deux millions dans les plus brefs délais."
[56] Rapport du Lieutenant Michel Gries.
[57] Parce que avec une machine abîmée à droite et une à gauche on peut en faire une qui marche...
[58] Michel Gries ne sera pas pris. Il continuera à instruire des équipes de sabotage et à ennuyer les Allemands jusqu'à la Libération: sabotage du canal de l'Oise à la Sambre, du canal de St Quentin, de 2 péniches d'huile, 3 d'essence, d'une distillerie avec 300 000 litres d'alcool, l station de pompage, des voies ferrées...
[59] Fassin à Londres. 24.2.44. "...devant mauvaise volonté évidente mouvements me fournir emplacements de transmissions radio, les organise autonomes... Premier réseau sera en place fin mars..."
[60] "Bien des raisons rendent en ce moment les voyages difficiles, mais les aviateurs sont, de tous les fléaux, le pire". Ernst Jünger, Second Journal Parisien, p.270. Christian Bourgois, Le Livre de Poche.
[61] 1.3.44. Télés de LATIN/Revez-Long: "...GALLOIS refuse continuer travail de transmissions." 25.3.44: "...GALLOIS échappe à notre contrôle."
[62] Police militaire allemande.
[63] Londres à PIQUIER, 7.3.44: "...IROQUOIS n'a plus désormais aucune mission de notre part..."
[64] Fassin à Londres 25.3.44: "Cheveigné occupé à reconnaître emplacements. Ne puis faire autrement que l'utiliser pendant quelques semaines"


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