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La première parlementaire française était une Française de l'étranger
Intelligente et déterminée, cultivée et pétillante, ainsi apparaissait Marthe SIMARD, dans les années 1960. De petite taille mais d'une personnalité affirmée, fascinante à maints égards. Vivant à Québec depuis les années 30, elle était restée profondément attachée à sa patrie d'origine, la France. Aussi lui parut-il naturel de jouer un rôle conséquent au moment de la Seconde Guerre mondiale, rôle qui la mena à un poste politique exceptionnel : elle fut l'un " des cinq représentants des organisations de résistance de l'étranger à l'Assemblée nationale consultative, créée par le Général de Gaulle " . Elle fut aussi " la première femme à être nommée membre de l'Assemblée consultative provisoire et restera la seule femme parmi les 84 membres de l'Assemblée tout au long de sa première année d'existence ".
Née en 1901 en Algérie à Bordj-Menaïel où son arrière-grand-père était venu s'installer, Marthe CAILLAUD, fille du juriste Édouard CAILLAUD et d'Emma PAOLI, de Corte en Corse, connut une enfance et une adolescence sans histoires. Elle se marie en juillet 1920 avec Socrate BASTENTI ; une petite fille, Yahne, naît à Tunis. Devenue veuve très vite, Marthe retrouve ses parents à Douai où son père avait été nommé juge d'instruction ; il y deviendra président du Tribunal. Elle rencontre à Berck-Plage le Dr SIMARD, un Canadien-Français de Québec, comme on disait alors, venu se spécialiser dans le traitement de la tuberculose osseuse. Ce dernier, rappelé à Québec au chevet de son père à l'agonie, revient à Paris pour épouser en juin 1932 la belle et jeune veuve. Avec Yahne, ils prennent l'avion pour Londres, puis le bateau, le Duchess of York, pour Québec où ils arrivent le 8 juillet 1932.
Reçue dans la bonne société de Québec, la jeune femme est vite remarquée pour son dynamisme exceptionnel, son ouverture aux autres et à la culture de son pays d'accueil, sa vivacité d'esprit, son sens de l'humour, toutes qualités qui passaient alors pour plutôt rares chez les représentantes du " beau sexe ".
On se souvient d'elle comme d'une femme éblouissante, ayant le goût de l'aventure. En juin 1941 , n'entraîne-t-elle pas son mari à partir en voiture pour Winnipeg en passant par Chicago et les Grands Lacs ! Des milliers de kilomètres par des routes non asphaltées.
Dès le début de la guerre, elle envoie vivres et médicaments dans une France rapidement exsangue. En 1940, l'armistice signé par la France est diversement accueilli au Canada. Les élites religieuses du pays et la bourgeoisie sont plutôt pétainistes. Courageusement, Marthe SIMARD décide d'agir. Le père Georges-Henri LÉVESQUE raconte, dans son livre Souvenances, que le 18 juin au soir un petit groupe d'amis s'était réuni chez les SIMARD et que, à la suite du discours du Général de GAULLE, Madame SIMARD, " femme exceptionnelle et dynamique ", souligne-t-il, avait suggéré de façon spontanée la fondation d'un " Comité France-Libre " . Ce fut le premier comité de la Résistance fondé à l'extérieur de la France.
Passionnée et volontaire, Marthe allait au bout de ce qu'elle entreprenait. La voici s'adressant aux Canadiens via la radio, retransmise par Londres, pour appuyer l'action de la France Libre. La voilà encore circulant de Vancouver (Colombie-britannique) à Halifax (Nouvelle-Écosse), en passant par Gravelbourg (Saskatchewan) et mainte autre ville francophone, pour expliquer ce qu'était la Résistance en France, mouvement qui paraissait souvent ambigu aux Canadiens. (Il y a plus de 5.500 km d'un océan à l'autre et, à cette époque, le train était à peu près le seul moyen de communication dans cet immense pays.)
Québec devient le point de ralliement des Français libres que le destin envoie de ce côté-ci de l'océan. Le chirurgien André SIMARD et sa femme logent, nourrissent et soignent maints transfuges, aussi bien que des personnalités de passage à Québec comme l'amiral Thierry d'ARGENLIEU, Élisabeth de MIRIBEL , Jacques de LACRETELLE, Georges DUHAMEL, Alain SAVARY, etc .
Leur maison est devenue " le Quartier général du mouvement gaulliste en Amérique du Nord " . Ce n'était pas évident dans leur milieu social, (elle a même dû être protégée par la Gendarmerie Royale du Canada). Mais Marthe et son mari avaient une conviction profonde qu'ils ont su faire partager à certaines autorités, à commencer par le père Lévesque, Mgr Roy, le cardinal Villeneuve, etc. Elle s'ingénie à présenter ces Français libres aux autorités politiques, rencontre à cet effet le premier ministre québécois Adélard GODBOUT. Elle agrandit bientôt le cercle de son action en allant aux États-Unis. Antoine de SAINT-EXUPÉRY est à New York, " où, dit-il, il vit seul, comme un sauvage ".
En mai 1942, ce dernier vient faire une conférence à Québec, au Palais Montcalm. Pour donner une idée du climat politique ambiant, Auguste VIATTE note que Mme SIMARD, à qui il téléphone quasiment tous les jours, est " vexée de voir SAINT-EXUPÉRY récupéré par les vichystes ".
Lorsqu'en automne 1943, le Général de GAULLE cherche un représentant de la France Libre en Amérique du Nord, c'est elle qu'il invite à venir le rejoindre en Algérie pour siéger à l'Assemblée consultative provisoire. Marthe SIMARD part donc de Québec, traverse à nouveau les États-Unis, prend un navire de guerre canadien, passe par la Caraïbe (Guadeloupe, Martinique), séjourne en Haïti - où elle reçoit une statue d'un certain Duvalier (frère de l'autre) - traverse l'Atlantique, qui est alors un champ de bataille meurtrier, avant de débarquer à Alger.
Elle y retrouve une partie de la famille de son père comme elle retrouvera plus tard en France, de façon inattendue, un jeune cousin de sa mère, Alain ROUGEOT, qui, lui, avait fait partie du Mouvement de libération nationale au Puy-en-Velay.
Elle est l'une des 12 personnes représentant le mouvement de résistance à l'étranger à l'Assemblée provisoire, créée par le Général de GAULLE .
Elle est aussi la première et la seule femme, parmi les 84 membres, à siéger à cette Assemblée du parlement français en exil . Il est clair que sa présence a joué un rôle-clé dans la décision en 1944, d'instituer l'égalité politique des hommes et des femmes (loi du 5 octobre 1944).
L'Assemblée nationale consultative regagne Paris après la Libération en 1944, s'installe au Palais du Luxembourg en novembre et augmente le nombre de ses membres. Marthe SIMARD est alors l'une des dix femmes parmi les 248 membres et l'une des 5 personnes à représenter les résistants français de l'étranger; elle est la première femme parlementaire à s'adresser à l'Assemblée nationale, le 15 juin, appuyant le projet de loi visant à donner le droit de vote aux femmes et demandant que l'on renforce le Consulat général de France à Québec, en particulier dans le domaine culturel.
Marthe SIMARD revient à Québec pour retrouver son époux canadien, complice et intensément coopératif, que la France décorera de la Légion d'Honneur. Quant à elle, elle avait sacrifié une vie confortable, déjà passionnante et sûrement moins agitée à la certitude que sa patrie d'origine méritait mieux que le statut de pays occupé.
Devenue veuve à nouveau, Marthe SIMARD épousera en 1957 le Dr Léo REID ; elle participera tous les ans aux Cours d'été de l'Université Laval à l'intention des étudiants américains et canadiens anglophones.
Nous avons pu admirer dans les années 60-70 sa grande culture, son esprit brillant, parfois caustique, son sens de la communication. Restée épanouie et lumineuse jusque dans son grand âge, elle s'est éteinte en 1993.
La France a remis à Marthe SIMARD, Française de l'étranger exemplaire, les insignes de Chevalier de la Légion d'Honneur, la Médaille de la Résistance et la Médaille des Services volontaires.
Françoise TÉTU de LABSADE
Élue à l'Assemblée des Français de l'étranger - Montréal. Laurent Laloup le vendredi 31 août 2007 - Demander un contact Recherche sur cette contribution | |