|
"Louis KERJEAN
Un héros était parmi nous.
Parachutiste de la première heure, Louis KERJEAN, alors chef de bataillon, a commandé le CITr25 en 1961-62 à Bayonne. Bien peu savaient à cette époque qu’ils côtoyaient un authentique héros de la dernière guerre, parce que cet homme discret ne s’épanchait pas sur son passé. L’article retranscrit ci-dessous, écrit dans un journal local de son lieu de naissance nous le fait mieux connaître :
ITINERAIRE D’UN ENFANT DU PAYS, COMPAGNON DE JEAN MOULIN.
Louis Kerjean, Loulou pour la famille et les amis, est né le 17 décembre 1921 à Pen-Ar-Run en notre commune de Lambézellec. Cinquième et dernier de la famille, il a grandi à l’ombre de l’école de la Croix Rouge où il a commencé sa scolarité. Fils de maraîchers, il a connu le travail de l’exploitation, les semis, la surveillance des cultures, la récolte des légumes et la cueillette des fruits dans le grand jardin muré.
Son avenir s’est rapidement dessiné, au delà de la terre familiale, vers une carrière militaire. Après quelques années au Likès à Quimper, à l’heure de la déclaration de guerre en 1939, il prépare au Lycée de Brest, son entrée à l’école de St Cyr.
C’est là qu’en juin 1940 il apprend et refuse l’armistice. Sans hésiter, il prépare son départ et, le 19 juin, comme d’autres brestois, il gagne l’Angleterre à bord de l’Abeille n°4 qui évacue des soldats polonais.
De ce choix, le général BOURDIS, l’un des cinq premiers compagnons de la Libération, écrit cinquante ans plus tard :
« Si nous sommes là,…. C’est surtout parce qu’en 1940 nous avons fait le même choix, le même acte de foi et d’espérance en nos alliés britanniques ainsi que, celui de nous mettre aux ordres du général de Gaulle que nous ne connaissions pas, mais qui exprimait lumineusement ce que nous ressentions et pensions confusément ». ……….
Dès le 1er juillet, Loulou s’engage à l’Olympia. Versé au bataillon de chasseurs, il finit avec succès le peloton d’EOR. Un ami écrit :
« Nous avons porté ensemble le battle-dress britannique et le béret des Chasseurs Alpins, notre premier uniforme...Faute d’avions, on avait pas voulu de ceux qui n’avaient encore aucune notion de pilotage et nous nous sommes retrouvés tous les deux avec une dizaine d’autres candidats à Saint Cyr, brevetés de la PMS, soldats de 2ème classe au bataillon de chasseurs, aspirant plus à nous battre vite contre l’envahisseur nazi, qu’à porter des galons. »
Volontaire pour les missions spéciales en France, Loulou suit des stages dans les écoles de l’Armée anglaise. Il s’initie aux opérations aériennes, au sabotage et surtout à la radio. Dans le même temps, il courtise Alma, jeune fille anglaise de 17 ans, qu’il épouse à Southampton où naîtra leur fils Pierre.
Au cours de la lune de décembre 1942, il part à bord d’un Lysander. Parachuté dans la région de Bourges, il est accueilli au sol par « FritA », puis rejoint Jean Moulin à Lyon avant de regagner le Midi. Le 24 décembre sous le pseudonyme de LEBRAS (nom de code : ERGW), il rejoint le réseau Julitte à Nice. Trahi, c’est dans le train de Nice à Vichy, entre les gares de Toulon et de Marseille qu’il est arrêté par la Gestapo le 10 mars 1943.
Emprisonné à Marseille, puis incarcéré à Fresnes, il subit, pendant 9 mois, interrogatoires et tortures avant d’être déporté avec l’étiquette « Nacht und Nebel » (Nuit et Brouillard) cers les camps de Struhof-Natwiller, de Buchenwald et Dachau.
Les années passent… Après avoir libéré la France au printemps 1945, les troupes alliées progressent en Allemagne et libèrent les uns après les autre les Camps où sont encore de nombreux prisonniers et déportés.
Un ami argentin, affecté dès le début de la guerre aux troupes du général Leclerc relate leurs retrouvailles :
« Quatre ans ont passé...La 2°DB marche à l’aile droite de la 7° armée américaine du général Patch, à la poursuite d’une armée allemande en pleine déroute. …….
Hélas! Quelques heures plus tard, j’allais découvrir le amp de Dachau avec toute son horreur; je ne savais pas et je ne me rendais pas du tout compte du monde que j’allais trouver. Les Américains sont arrivés avant nous. La vue est atroce : derrière la double rangée de barbelés, ce sont des êtres décharnés, avec le costume rayé et le crâne rasé. Subitement, l’un d’eux se détache et s’approche des barbelés en criant quelque chose. Moi, je ne voyais que ses yeux caves et brillants et un pauvre visage avec la peau collée aux os; lui, il continuait à m’interpeller par mon nom en hurlant « C’est moi Kerjean, c’est moi,….rappelle toi, 1940 et le peloton de transmission en Angleterre...Kerjean, c’est moi, c’est moi, c’est moi... » J’ai été bouleversé par ce terrible spectacle ; je suis entré dans le camp et c’est en pleurant que nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre. »
Anéanti par tant d’horreurs, cet ami a rejoint son unité...mais il écrit :
« J’étais obsédé par ce que je venais de voir. Moi, toujours un peu naïf, je ne connaissais de la guerre que son aspect militaire avec au bout, la détermination, le courage, le sacrifice, la fatigue, la peur, le sang et la mort. Mais, ici, dans la conduite des bourreaux, il n’y avait plus que la barbarie, l’avilissement et l’abjection ; il n’y avait plus rien d’humain ; on avait piétiné toutes les valeurs sacrées. Le respect, l’honneur, la piété, la dignité, de tout cela, rien ! Plus rien !........
Qu’a fait Loulou au lendemain de sa libération ?.... Nous savons que le 30 avril 1945, il est nommé Lieutenant; trois citations à l’ordre de l’Armée, la croix de Chevalier de la Légion d’Honneur récompensent sa conduite exemplaire.
C’est sans doute d’Allemagne qu’il écrit à sa tante religieuse à Paris : « J’ai besoin de repos et de suralimentation, mais je ne sais que ni l’un ni l’autre ne me manqueront en rentrant ; aussi, j’envisage l’avenir avec le plus grand optimisme ». Une halte est prévue à Paris
et il ajoute : « Attends-toi à mon arrivée prochaine. Je te demanderais une chose : c’est de préparer un petit gâteau quatre-quarts ou des madeleines comme celles que tu m’apportais à Fresnes. Te souviens-tu ? Un vrai délice! ».
Le mois suivant, il rejoint Brest. C’est Jeannette, employée chez ses parents et témoin de son retour à la maison qui raconte :
« Que vous dire de cette matinée du mois de mai 1945, sans dévoiler ni trahir l’émotion ressentie par Loulou et les siens lors de son retour dans sa maison natale. Il faisait gris sur Brest ce jour là. J’étais occupée par quelques travaux de couture quand j’ai entendu le bruit du char à banc s’arrêter dans la cour et des voix s’élever plus fort que d’habitude en disant : le voilà !
Par la fenêtre ouverte, j’ai vu Loulou descendre du char à banc. Il portait le bonnet rayé des déportés, un bonnet sans couleur définie et il était vétu d’une veste du même tissu rayé. D’un pas mal assuré, il s’est dirigé vers les siens qui l’ont accueilli dans une grande émotion.
Chacun avait le visage baigné de larmes : larmes de la douleur subie et larmes de la joie retrouvée. Aujourd’hui chacun pouvait apprécier ce retour tant espéré et attendu ». Qu’a-t-il voulu dire en revêtant à son arrivée sa tenue de déporté ?»." 
Laurent Laloup le mardi 29 avril 2008 Contribution au livre ouvert de Louis Guillaume Marie Kerjean | |