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C'était dans le désert de Libye. Dans un peloton de spahis au repos, Jacques, assis sur ses talons devant une caisse de grenades, prend les explosifs l'un après l'autre pour les désamorcer. «Je travaillais en bavardant avec les camarades, racontera-t-il plus tard. L'un d'eux, à mon insu, prend une grenade et la dégoupille. Puis, apeuré, il me la tend. Je la saisis machinalement, mais aussitôt je comprends: elle va exploser. Vite la jeter! Mais les copains sont là, je risque de les tuer... Soudain, un formidable coup de gong. Je suis plongé dans les ténèbres. J'essaie de parler, je n'y parviens pas. Je me vois mort».
Fils d'un officier de marine, Jacques Lebreton a quitté le manoir familial de Kerval, près de Brest, en juin 1940, à 18 ans, pour rejoindre les Forces françaises libres à Londres. Puis, après un long périple en Moyen Orient, il s'est trouvé en Libye, face aux troupes du général allemand Rommel. Pour la première fois, il affronte la mort: les obus sifflent de toutes parts. Les morts sont nombreux autour de lui. Il se pose la question de Dieu: «J'avais reçu une éducation chrétienne à la maison, puis au collège. Brusquement, à 18 ans, j'étais passé de la vie protégée à la vie de grand air. Peu à peu, ma foi s'est étiolée, j'ai cessé de pratiquer. Mais face au danger, je me posais la question fondamentale: "Dieu existe-t-il? Qui est-il? Après la mort, est-ce le trou noir?" La réponse à mes questions allait m'être donnée d'une façon inattendue, avec l'explosion de la grenade».
Après les premiers soins à l'ambulance de campagne, Jacques Lebreton est évacué sur un hôpital de Damas. Pendant deux ou trois semaines, il reste plongé dans une véritable torpeur. Il se doute bien que ses yeux ont été grièvement atteints, mais il pense pouvoir retrouver la vue dans six mois ou un an tout au plus. Le temps arrangera tout. En revanche, il ignore ce qui se cache sous les énormes pansements qui enveloppent l'extrémité de ses avant-bras: «Je sentais encore mes mains comme si elles étaient restées crispées sur la grenade: c'est l'illusion bien connue des amputés. Quand je découvris la vérité, ce fut la révolte. En Libye, j'avais vu un jour vingt-et-un de mes camarades volatilisés dans une formidable explosion; je m'étais dit: "La mort en pleine bataille, ce n'est rien, on ne la voit pas venir. Ce que je crains le plus, c'est de perdre un bras ou une jambe. Je ne pourrais pas le supporter ". Et maintenant, je me retrouvais aveugle et bi-manchot: une quadruple amputation. À 21 ans! Comment Dieu pouvait-il permettre une pareille épreuve?» Jacques Ghémard le samedi 12 janvier 2008 Contribution au livre ouvert de Jacques André Marie Beaugé dit Lebreton | |