|
Jean " Jean Cayrol né à Bordeaux en 1911 est mort le 10 décembre 2004. Résistant de la première heure, il a été immatriculé dans le Réseau Confrérie Notre Dame de la France Libre en janvier 1941. Jean Cayrol fut arrêté à Bordeaux le 10 juin 1942, interné sur place, puis dix mois au secret à Fresnes ; il a été déporté le 25 mars 1943 à Mauthausen et transféré à Gusen le 7 avril pour travailler comme manœuvre à la carrière. Il survécut grâce à l’aide du prêtre autrichien Johannes Gruber interné par les nazis à Gusen. Après l’assassinat du Père Gruber, le Père Jacques lui apporta un soutien décisif. Dès son arrivée en avril I944, ce dernier créa la surprise en déclarant au petit groupe de compagnons de Résistance de Cayrol : « Vous avez un grand poète parmi vous ». En effet peu de Français déportés à Gusen connaissaient à cette époque les prémisses de son œuvre.
Rapatrié en mai 1945, Jean Cayrol a été distingué en 1947 par l’attribution du Prix Renaudot pour son roman Je vivrai l’amour des autres. Il a été membre de l’Académie Goncourt. Son œuvre est considérable, tant en prose qu’en vers. La totalité de sa production poétique (dont les Poèmes de la nuit et du brouillard) a fait l’objet d’une synthèse aux Editions du Seuil en septembre 1988. Elle se caractérise par son lyrisme et la pureté de sa langue. L’approche de la poésie de Cayrol est réputée difficile. Comme toute écriture de cette nature, elle est faite pour être récitée : c’est un chant. J’ai le souvenir d’avoir écouté Jean dire ses poèmes devant René Dugrand (1) et moi lorsque nous nous réunissions à Bordeaux au début des années 50, c’est alors qu’il nous faisait entrer dans la merveilleuse musique de ses vers.
Jean Cayrol a aussi écrit des scenarii de films, tel le texte de Nuit et Brouillard d’Alain Resnais.
A l’attention des membres de l’Amicale, je me référerai en particulier au roman Je vivrai l’amour des autres (déjà cité) et à l’essai sur Le romanesque concentrationnaire. Le roman est, me semble-t-il, l’un des plus accessibles à tous. La première partie s’intitule « On vous parle » et, en préambule, l’auteur présente « Au lecteur » son personnage qui n’a pas de nom. Il écrit : « Vous l’avez tué, il y a bien longtemps. On en parle dans le brouillard et dans la nuit »… Cayrol essaie de nous montrer au travers de son personnage déboussolé que le déporté vit en clochard dans la société post-concentrationnaire, incapable d’amour, de l’Amour que le camp a tué en lui. Dans la seconde partie « Les premiers jours », l’auteur insiste sur cette espèce de castration qui conduit Armand (son personnage ici nommé) à essayer de vivre l’amour d’Albert et de Lucette. Lorsque Jean m’a offert un exemplaire de son ouvrage en 1948 à Bordeaux, il a écrit cette dédicace sous le titre Je vivrai l’amour des autres : « dans un monde sans Amour, ce livre témoin ».
Enfin l’essai sur Le romanesque concentrationnaire mérite d’être lu et médité. D’entrée, Jean Cayrol nous dit en 1949 : « Il n’y a rien à expliquer. Les camps ont été subis de différentes manière par leurs victimes ; certains en sont morts, d’autres en meurent lentement, coupés du retour… ». Plus loin, il écrit : « on ne peut se réunir pour échanger ses propres souvenirs comme des timbres-poste… ». On reconnaîtra dans ces réflexions une juste critique d’un temps de l’Amicale qui fut celui de la mémoire souffrante, un temps du repliement sur soi. Dans la suite de son propos, Jean Cayrol décrit, à l’opposé, sa conception de ce qu’il définit comme l’émergence d’un romanesque concentrationnaire : « Il nous semble qu’on peut déjà dégager quelques principes d’un art lazaréen ou concentrationnaire et je crois que les déceler, en dévoiler les signes, de peur de contagion, en abattre tous les masques est de la première importance ; il ne faut rien laisser dans l’ombre, les ténèbres sont si vite arrivées ».
Il faut relire Je vivrai l’amour des autres et « Lazare parmi nous ». L’art lazaréen est d’actualité dans la société dite de consommation qui nous submerge. La parole de Jean est là, toujours vivante.
(1) René Dugrand, membre du Réseau C.N.D. déporté à Mauthausen-Gusen, a inspiré à Henri Noguères le film « L’échantillon » " Laloup laurent le lundi 15 octobre 2007 Contribution au livre ouvert de Jean Raphaël Marie Noël Cayrol | |