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L' « affaire Turck » "Au cours de ces diverses opérations, on avait vu apparaître à Marseille un personnage que les agents du S. 0. E. avaient pris pour Turck et dont l'intervention, à plusieurs reprises, paraissait avoir contribué à faire tomber certains d'entre eux dans le piège tendu par la D. S. T. Plusieurs de ses victimes, et notamment Robert Lyon, une fois en Angleterre (1) reconnaîtront sans hésitation comme étant celle de ce personnage, la photographie de Turck, cependant mêlée à beaucoup d'autres. Après la guerre, Pierre Bloch, Bègue, Le Harivel et Robert Lyon demanderont l'ouverture d'une enquête. Il y sera procédé, en 1946, par Roger Wybot, devenu directeur de la Surveillance du Territoire, et le rapport que celui-ci établira, s'il met Turck hors de cause (2), apporte sur l'affaire de la « Villa des Bois », quelques précisions inattendues. En voici le texte :
12 avril 1946
Direction de la Surveillance
du Territoire SN/STE N° D. 5682 64 500/RI
NOTE
pour M. le Directeur Général de la Sûreté Nationale
Le 9 octobre 1941, était appréhendé au garage Fleuret (3) un nommé Bouguennec (4), envoyé de Marseille par Turck, alias Christa. Au cours de son interrogatoire, Bouguennec indiquait aux enquêteurs l'adresse de Ghrista : Villa des Bois, Vallon de la Baudille à Marseille. Tél. D. 44-22 et dès le 11 octobre, une surveillance était organisée autour de cette villa.
Cette surveillance amenait le 17 octobre seulement l'arrestation du nommé Jumeau qui venait prendre contact avec Christophe à la villa afin de connaître le but exact de sa mission. Jumeau ayant fait l'objet d'une courte surveillance avant son arrestation amenait la police à appréhender D... G... à laquelle il avait apporté une lettre de son amant Vaillant de Guélis Jacques.
La surveillance à la Villa des Bois se poursuivant, amenait le 20 octobre l'arrestation de M. Bloch, député, lequel s'était présenté à la villa pour remettre à Christophe une somme de 1 150 000 francs.
Le même jour, le maréchal des logis Ribollet, locataire de la Villa Bernadette appartenant à un officier de l'état-major de l'Armée à Marseille, se présentait à la Villa des Bois pour y retirer le courrier au nom de son ami Turck, locataire de la villa, se faisant appeler Christophe ou Christa. Ribollet était appréhendé, mais son chef, le commandant Brochu, s'étant porté garant de son loyalisme, il était laissé en liberté. Par la suite, Ribollet, par ses indications, permettait aux enquêteurs d'appréhender Lyon, Hayes et Le Harivel dans les conditions ci-après :
Lyon s'étant présenté à la Villa Bernadette pour y demander la date du retour de voyage de Christophe, était reçu là par le sous-officier Ribollet, locataire de la villa. Celui-ci lui fixait un rendez-vous dans un café de Marseille et Lyon était appréhendé à ce rendez-vous le 24 octobre 1941. L'Anglais Hayes qui accompagnait Lyon à ce rendez-vous était également appréhendé le 24 octobre.
De même, Le Harivel, qui avait cherché à atteindre Christophe à la Villa Bernadette, s'était vu fixer un rendez-vous dans un café de Marseille, au cours duquel il était appréhendé sur les indications du maréchal des logis Ribollet.
Enfin Turck, alias Christophe, a fait l'objet d'un mandat d'arrêt et a été recherché vainement à l'époque. L'enquête effectuée à son sujet a établi d'ailleurs que l'intéressé était parti en zone occupée le 3 octobre 1941 avec un convoi de militaires rapatriés et libérés.
(Signé) Roger Wybot
Directeur de la Surveillance du Territoire
Ainsi, contrairement à la version donnée par M. R. D. Foot, la police de Vichy aurait connu l'adresse de la « Villa des Bois » bien avant le parachutage de Tuberville. Il semble se confirmer d'autre part, que seule une surprenante ressemblance ait conduit Robert Lyon à reconnaître en Turck le responsable de son arrestation. Il est vrai que les services britanniques n'avaient pu joindre au lot des photographies qui lui avaient été montrées, celle du maréchal des logis Ribollet, dont ils ignoraient l’existence.
Reste donc le cas du maréchal des logis Ribollet que le rapport Wybot met directement en cause.
Que faut-il penser du rôle joué par ce sous-officier, détaché à l'époque auprès du commandant Brochu, officier B. M. A., comme artificier spécialement chargé des questions de sabotage?
Le plus simple était de recueillir son témoignage.
Nous avons donc communiqué à Ribollet le rapport de Wybot, et voici sa réponse :
"... Je porte à votre connaissance que malgré la haute autorité que représente M. Wybot, je conteste les affirmations contenues dans sa note adressée au directeur général de la Sûreté le 12 avril 1946.
Voici les faits :
J'ai été arrêté dans la villa de Turck et emmené promenade de la plage dans les services du commissaire Léonard. J'y suis resté 24 heures, puis [ai été] relâché sur intervention personnelle du commandant Paillole.
Par la suite, étroitement surveillé, j'ai reçu la visite de Lyon que j'ai d'abord soupçonné d'être un « mouton » et je ne l'ai pas fait entrer chez moi. Je lui ai donné rendez-vous en ville car je ne voulais pas qu'il reprenne contact à la villa dans le cas où il aurait été réellement à la recherche de Turck.
A ce rendez-vous, j'ai dit à Lyon que je n'avais pas de nouvelles de Christophe, et je suis parti.
J'ai vu également Le Harivel (je viens de connaître son nom en lisant le rapport Wybot) à la Villa Bernadette, et j'ai eu plus de méfiance à son égard que pour Lyon. J'ai agi de la même façon.
Arrêté à nouveau le soir même, j'ai vu Le Harivel dans les bureaux de la promenade de la plage. C'est, je crois me rappeler, le seul que j'aie revu depuis les entrevues en ville.
Pour m'accuser d'être à l'origine de l'arrestation de Lyon, de Le Harivel et de Hayes, il faudrait étayer cette accusation. Or il doit certainement exister des archives permettant de retrouver les procès-verbaux des interrogatoires que j'ai subis. Pourquoi n'en fait-on pas cas?
Relâché 48 heures plus tard, je fus envoyé rapidement en Afrique du Nord au 56e Régiment d'artillerie "
Ribollet, par la suite, accomplira, sous les ordres du commandant Paillole, plusieurs missions importantes et périlleuses. Quant à Turck — qui a été « revendiqué », comme l'on sait, par les services spéciaux (5) — il organisera bientôt des groupes de sabotage en zone occupée et n'aura plus aucun rapport avec l'équipe du S. O. E.
Une équipe — nous avons pu nous en rendre compte — à laquelle il est bien difficile, aujourd'hui encore, de faire admettre que les B. M. A. aient pu aussi avoir une activité de résistance.
Comme on le voit, en dehors de Turck, les rescapés de ce coup de filet sont rares. Il ne reste plus, pour le S. O. E. en zone occupée, que Virginia Hall et Dubourdin à Lyon, Vie Gerson — à qui son flair a permis d'échapper à la souricière de la « Villa des Bois (6) » — et Olive qui, lui, paradoxalement, vient de sortir de prison, et, tout en organisant, sur la Côte d'Azur, son propre réseau « Urchin », assure la liaison avec André Girard.
1 A la suite d'une évasion collective
2 Turck a été entendu (ainsi notamment que Bègue, son principal accusateur) par un jury d'honneur constitué à Londres le 18 mars 1947. Le jury a conclu « que ceux qui avaient accusé Turck l'avaient fait honnêtement et de bonne foi », mais qu'il n'y avait lieu de suspecter ni sa loyauté ni son honneur.
3 A Châteauroux.
4 II s'agit de Francis Garel.
5 Le lieutenant Turck a été, en raison de son activité en zone occupée, déporté en Allemagne, n'a repris, à son retour, son métier d'architecte ; non sans être d'abord allé l'expliquer à Londres auprès du S. O. E. qui a reconnu sa bonne foi, ainsi qu'il a été dit.
6 Gerson, en téléphonant à la « Villa des Bois », avait trouvé suspecte l'insistance «vec laquelle son interlocuteur, au bout du fll, le priait de venir. Sans contact ni instruction, Vie Gerson va « tout simplement » regagner Londres par l'Espagne pour savoir ce qui se passe. Laurent Laloup le mardi 21 octobre 2008 Contribution au livre ouvert de Gilbert Charles Georges Turck | |