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" MAURICE SURDIN (1911 – 2003)
Maurice Surdin est décédé le 7 mars 2003. Il était né en 1911, à Melitopol (Ukraine), mais fit toutes ses études en France. Après avoir obtenu une licence ès Sciences, il entre à l’Ecole Supérieure d’Electricité, et obtient son diplôme en 1932. Après quelques années passées dans une usine d’électronique comme ingénieur, il entre dans le Laboratoire de Physique Expérimentale du Collège de France dirigé alors par Paul Langevin où il commence son travail de thèse sous la direction d’Edmond Bauer. En 1939,1orsque survient la guerre, il est toujours au Laboratoire. C’est à cette époque qu’il fait la connaissance de Frédéric Joliot, de Francis Perrin et aussi de Lew Kowarski. En 1941, il rejoint Londres via l’Espagne et le Portugal et s’engage dans les Forces Navales Françaises Libres. En février 1942, grâce au soutien de Jules Guéron, et après un décret spécial de De Gaulle, il soutient sa thèse à Londres. Cependant, dès l’automne 1942, il a été muté dans un centre de la Royal Navy où il est chargé de l’étude et de la réalisation d’un radar centimétrique pour sous-marins.
Le 1er juin 1946, Surdin est recruté au CEA créé par De Gaulle à la fin de 1945 sur la suggestion de Frédéric Joliot. Celui-ci fut nommé Haut-Commissaire, et Raoul Dautry, ancien ministre de l’armement du gouvernement de Paul Reynaud au début de la Guerre, fut nommé Administrateur général. Joliot charge Surdin d’organiser et de diriger dans un vaste "Service des constructions électriques" toutes les études et réalisations relevant de ce qu’on n’osait pas encore appeler l’électronique, et dont auront besoin les divers services dans les développements futurs du CEA. C’était une tâche énorme, car, au sortir de la guerre, la France n’avait dans ce domaine ni personnel, ni tradition (en Angleterre et aux Etats-Unis, par contre, des progrès, ou plutôt des développements considérables avaient été réalisés pendant la guerre, pratiquement à partir de zéro). Pour installer son personnel, ses laboratoires de recherche et ses ateliers, le CEA donna en plus à Surdin la mission d’aménager et de diriger le Centre de Fontenay-aux-Roses, que l’on installa sur le site du Fort de Châtillon, au sud de Paris. C’était un vieil établissement militaire datant des années 1880, abandonné par l’Armée ; il se composait d’une vaste place déserte, à part deux étages de casemates en ruines et deux petits bâtiments, dont l’un était vide et l’autre servait d’école à un petit groupe de Gardiens de la Paix.
Les trois premiers ingénieurs à y venir furent Chaminade et Labeyrie, provenant du Collège de France où ils avaient été chargés par Joliot, un mois plus tôt, de développer une méthode pour découvrir les gisements de minerais d’uranium, puis Valladas, venu du laboratoire où avait été Surdin au Collège de France. Très vite, de nombreux autres suivirent : Pottier, Raievski qui partira un an après pour étudier la physique des réacteurs nucléaires, Weill, Rossini, Wahl, Marie-Anne Prunières, Ginette Richard, Echard, parmi les premiers. En même temps, l’état-major du CEA s’étoffait et nommait les trois "Canadiens", Lew Kowarski Directeur scientifique et technique, Bertrand Goldschmidt et Jules Guéron, Directeurs de la chimie.
Au printemps 1947, la construction de la première pile atomique française est décidée : sur suggestion de Goldschmidt, elle sera de puissance très faible, à l’eau lourde et à l’oxyde d’uranium, d’où son nom, ZOE, proposé par Kowarski. Celui-ci, ancien collaborateur de Joliot, avait été chargé par Joliot et Dautry d’amener l’eau lourde française en Angleterre en 1940 ; il avait eu un rôle important dans la construction de la première pile canadienne de Chalk River. Il fut chargé de la direction de la construction de la première pile française, Ertaud fut chargé des calculs, Goldschmidt de l’élaboration de l’uranium à partir du minerai, Stohr de la fabrication des comprimés d’oxyde, Guéron de la fabrication industrielle du graphite, Lemeur de la mécanique, Surdin de l’électricité, de l’électronique, du tableau de commande du réacteur, et aussi de la sécurité de celui-ci... Le démarrage, sous la direction de Joliot, eut lieu le 15 Décembre 1948 et ce succès eut un retentissement considérable, en France et à l’Etranger, où l’on était étonné de voir notre pays se relever si rapidement.
Entre temps, grâce aux nouvelles méthodes développées au Service des Constructions électriques, des quantités considérables de minerai d’uranium étaient découvertes en France. Notre pays avait donc dorénavant tout ce qui était nécessaire à la réalisation du grand projet à l’origine du CEA : construire des réacteurs nucléaires producteurs d’électricité pour se rendre indépendant des importations de pétrole.
Pour démarrer cette expansion, Joliot s’aperçut que Surdin était l’homme indispensable (il l’appelait "le solide Surdin"). Aussi, à peine ZOE eut-elle démarré, qu’il fut nommé, sur recommandation de Goldschmidt, Président du GES, le groupe d’études de Saclay, chargé de construire ce nouveau Centre d’études du CEA près de Paris. Tout en conservant sa fonction de Chef de Service des Constructions Electriques, il eut à charge de prévoir les aménagements de ce Centre qui allait très vite devenir le plus grand du CEA, et le plus grand groupement de recherche français. Il y installa de nombreuses innovations, telles que des galeries techniques desservant tous les bâtiments, ou un chauffage urbain général, ou encore des postes de transformation individuels par bâtiment, etc... ,innovations qui se révélèrent être de grands progrès.
En 1950, en pleine guerre froide, Joliot qui s’était de plus en plus exposé à la tête du Mouvement des Partisans de la Paix, et qui avait très fortement pris position contre la construction de bombes nucléaires par la France, fut chassé du CEA par le président du Conseil de l’époque, G.Bidault. Il fut remplaçé par Francis Perrin. (Cependant, Joliot, comme le lui avait prédit Surdin dès l’été 1949, fut le seul à quitter le CEA).
Puis les esprits se calmèrent et Surdin commença à confier à l’industrie privée la fabrication en série des divers modèles d’appareils créés par ses ingénieurs et techniciens. C’était, dans notre pays, et pour ce cas particulier de l’électronique "nucléaire", une situation assez paradoxale, car ces appareils fabriqués par l’industrie, après avoir été mis au point au CEA, n’étaient ensuite vendus, la plupart du temps, qu’aux divers laboratoires du CEA : longtemps encore dans notre pays, en effet, l’Université, comme le CNRS, et aussi comme l’industrie, devaient rester totalement étrangers aux sciences nucléaires et à leurs applications.
Le Service des Constructions Electriques devint, à partir des années cinquante, un grand "Département d’Electronique" du CEA, toujours dirigé par Maurice Surdin, mais, nouveau paradoxe, il se consacra de plus en plus au développement d’activités qui n’avaient plus grand chose à voir avec ce qu’on avait tendance à entendre par "l’électronique". Par exemple, un nouveau laboratoire fut installé à Saclay pour créer des semi-détecteurs en tant que détecteurs de particules nucléaires et de photons de haute énergie, et un Centre nouveau fut créé à Gif, en commun avec l’Université, pour appliquer la radioactivité naturelle aux datations dans toutes sortes de domaines allant de l’archéologie et des sciences historiques aux sciences de la terre, puis, un peu plus tard, pour étudier la paléoclimatologie à partir des sédiments marins et glaciaires. Un peu plus tard encore, un autre service fut créé au sein du département dirigé par Surdin pour étudier l’astrophysique des hautes énergies, avec la collaboration de physiciens Italiens, Hollandais et Allemands, et avec l’aide financière du Centre national d’études spatiales et celle de l’Organisation européenne de la recherche spatiale (ESRO).
Ces activités s’étendirent bientôt, dès 1958, à d’autres domaines de la science comme ceux concernant la pollution de l’océan et de l’atmosphère par les essais militaires, ou encore au développement de méthodes pour éviter les incendies dans les réacteurs nucléaires industriels.
Ainsi, grâce aux activités du département de Surdin, la France n’est pas demeurée en retard dans le développement des connaissances et dans leur utilisation dans plusieurs grands domaines scientifiques qui commençaient à peine à naître dans le monde.
C’est là également que se développèrent les mesures concernant la Sûreté dans les laboratoires, ateliers, réacteurs et mines s’occupant de substances nucléaires. Cela se fit grâce au développement de méthodes et d’appareils pour la mesure rapide et précise du radon et des rayons gamma. Ces mesures connurent évidemment par la suite une très grande expansion. Citons enfin la naissance des premières réalisations appelées à se développer dans un avenir plus lointain : la conversion directe en électricité de l’énergie nucléaire, et aussi de l’énergie solaire.
La conquête de ces nombreux domaines nouveaux de la science et de ses applications ne put se faire que grâce à la compréhension et au soutien de deux hommes, le Haut-Commissaire Francis Perrin, et le Chef du département d’électronique Maurice Surdin. Ils avaient compris que tous ces
développements allaient contribuer à rétablir la réputation scientifique de la France, et contribuer également à consolider la réputation du CEA.
En 1964, Surdin fut nommé Directeur de la recherche appliquée de l’ESRO, ce qui lui permit de jouer un rôle non négligeable dans le démarrage de cette nouvelle activité européenne. En 1968, il devint professeur à l’université de Bordeaux 1 (à la chaire d’automatique) ; il partit à la retraite en 1977.
Quand il quitta cet enseignement, son esprit était en pleine activité ; Surdin se consacra alors au développement de diverses théories de la physique d’avant-garde qui lui tenaient à coeur depuis longtemps, telles que celle du champ magnétique des corps tournants, ou celle de l’électrodynamique stochastique, basée sur le postulat d’un "champ de zéro" (c’est un champ électromagnétique fluctuant, universel, qui est supposé exister à la température du zéro absolu).
Maurice Surdin savait travailler, et savait intéresser au travail ceux qu’il dirigeait. Il a eu une influence considérable sur ses ingénieurs et techniciens, car beaucoup d’entre eux, notamment ceux que j‘ai cités au début, le considéraient plus comme un véritable père, chargé de leur apprendre la vie professionnelle, en même temps qu’ils sentaient qu’il les aimait et les protégeait contre leurs propres tentations aussi bien que contre les attaques extérieures. Cet homme modeste, qui ne chercha jamais à se pousser dans la société, fut en fait un des très grands personnages du CEA, et aussi l’un de ceux qui contribuèrent très fortement au renouveau de la recherche scientifique et technique dans la France de l’après-guerre.
Jacques LABEYRIE
Avec la collaboration de Victor Raievski et de Yolande Surdin" Laurent Laloup le mercredi 15 octobre 2008 - Demander un contact Recherche sur cette contribution | |