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1 DE LA DFL - souvenirs, témoignages... Roger LUDEAU : extraits du Carnet de route inédit d'un combattant du Bataillon du Pacifique: 20 mars 44 - 15 août 44 : la Campagne d'Italie
"... 18 MAI 1944 : FRONT D’ITALIE
On reprend notre marche en avant ; quelle désolation, quelle misère, de quel côté que l’on se tourne ce n’est que ruines : la route sur laquelle on place des ribouis, avec une prudente méfiance, est jonchée de cadavres de malheureux déchiquetés par des rafales de mitrailleuses et autres jouets. Ici, c’est un blessé allemand carbonisé dans l’ambulance qui l’emportait, plus loin près de sa jeep touchée de plein fouet gît un français le ventre ouvert. Ailleurs, un vague tas de chairs sanguinolentes sans nationalité apparente portait il y a encore une heure le nom d’homme. Enfin, dans une petite cour de ferme et sans doute pour nous remonter le moral (on est en pleine offensive) sont exposés sous leurs couvertures inondées de sang, les corps de nos camarades qui viennent d’être tués dans la précédente attaque et qui attendent que les vivants veuillent bien prendre le temps de les enterrer. A mesure que l’on avance, on se rend mieux compte de la terrible efficacité des mitraillages aériens ; sur des kilomètres et des kilomètres, s’échelonnent des véhicules calcinés, éventrés, inutilisables, c’est tout ce qu’il en reste des colonnes ennemies surprises et anéanties en pleine retraite ; ce sont des ennemis c’est d’accord (nous sommes payés pour le savoir n’est-ce pas ?), mais malgré tout c’est la gorge serrée qu’on continue notre marche en avant. Oui, la guerre est vraiment une chose terrible, tellement terrible qu’elle devrait être hors de portée de ces gens appelés hommes, qui prétendent résoudre un problème en précipitant des millions d’êtres humains les uns contre les autres. Et pourtant depuis Caïn ces mêmes problèmes sont toujours en … suspens.
A midi, notre section de mitrailleuses est « invitée » à prendre position à toute vitesse pour soutenir une de nos compagnies prises sous un feu d’enfer. En nous voyant arriver, les gens « d’en face » ont juste à faire pivoter leurs ustensiles à distribuer le paradis (nous on croit fermement y avoir notre place réservée) d’office pour que l’endroit devienne intenable. Sous un violent tir d’artillerie et encore un plus violent barrage d’armes automatiques, on réussit tout de même à disposer nos moulins à cracher des flammes. A quelques centimètres au-dessus de nos précieuses caboches, les balles continuent de passer en nappes si denses qu’on dirait qu’elles tissent un mur… le mur de l’au-delà. Médéric s’écroula touché en pleine poitrine ; trop occupés, on remet à plus tard les funérailles. Tiens, voilà le mort qui se relève en agitant triomphalement la balle qui l’a « tué » ; ça alors ! Enfin, il daigne nous informer que la balle a traversé tout son bataclan pour s’arrêter à la couenne qu’elle a un peu entamé… comme ça, rien que pour y goûter. Miam ! Miam !.
On aurait dû consulter notre horoscope aujourd’hui. Ça n’a pas l’air d’être le jour « bénéfique de la section de mitrailleuses lourdes. Un moment après, c’est Decay qui reçoit un éclat d’obus et immédiatement après, Gelin, pour ne pas être en reste, se fait découper la figure par un autre ; heureusement, ce n’est pas trop grave et à part ça, ça va ; ça va d’autant mieux depuis qu’on peut tirer à notre tour. Nos instructeurs s’arracheraient par touffes s’ils nous voyaient « interpréter » à notre façon leurs recommandations expresses de tirer des rafales de 5 à 6 cartouches au grand maximum ; or, c’est des bandes entières de 250 qu’on passe sans presque s’arrêter ; l’eau de refroidissement en est bouillante ; une coccinelle ne s’aventurerait pas à traverser aujourd’hui la plaine qu’on a pour mission aussi à tirer sur une maison transformée en blockhaus et qui nous em… très sérieusement. On a déjà perdu là-dessus un bon morceau d’une section plus notre capitaine de compagnie (le capitaine Magny). Il est vrai qu’on a affaire à des spécialistes de la question : la 63ème ou 73ème division allemande qui a été se « faire la main » à Stalingrad. Chaque maison, chaque pan de mur est transformé en fortin qu’il faut démolir à coups de canon si on ne tient pas à se faire descendre comme au tir au pigeon. ..." Laurent le mercredi 13 janvier 2016 - Demander un contact Recherche sur cette contribution | |