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FEUX ET LUMIERE SUR MA TRACE du colonel CHATEAU-JOBERT " Je vais donc d'une troupe à l'autre, d'une équipe à l'autre, en espérant que tout se passe bien partout. C'est ainsi que, quatre jours après notre arrivée, je peux sortir l'aspirant Lyon-Caen d'un mauvais pas à La Chapelle-sur-Laives, à quelques kilomètres de la nationale 6, à hauteur de Sennecey.
Je n'avais pas revu Lyon-Caen depuis notre parachutage.
Ce jour-là, 22 août, je prévois d'aller jusqu'à lui. Comme il est en opération, je me fais guider sur le terrain et je tombe sur un groupe FFI désordonné et peu fier. On me rend compte de ce qui se passe. L'équipe FFI, que Lyon-Caen encadre avec seulement trois SAS, était en train de harceler des groupes d'Allemands qui «'affairaient aux abords des petits villages proches de la nationale 6. Son action a peut-être duré une demi-minute de trop. Prise •sous une riposte qui a eu le temps de s'organiser, elle a dégénéré en accrochage. Les éléments FFI ont pu se dégager mais sont pourchassés. Lyon-Caen et les SAS couvrent le repli...
Quelques FFI arrivent tout essoufflés en remontant la colline toisée sur laquelle je me trouve. Ils refluent — c'est évident — devant des tirs dont les balles coupent maintenant les hautes "branches des buissons et ricochent avec ce sifflement d'autant plus désagréable qu'on le situe mal. Je demande Lyon-Caen et j'apprends qu'il est blessé : « Qui est avec lui ? » Silence. « Où sont les SAS ?» On me dit qu'ils sont « par là-bas », contenant les Allemands par leurs tirs. Je redemande où est Lyon-Caen et on me montre une autre direction. Je pars. Quand je suis à trente mètres, deux hommes se décident tout de même à me suivre. Je fais trente mètres encore puis, de buisson en buisson, dix mètres encore. Les balles traversent maintenant les taillis à hauteur de poitrine mais, puisqu'on ne voit rien, ce ne peut pas être un tir ajusté. On ne voit rien, mais les Allemands avancent probablement aussi, sans rien voir. A une cinquantaine de mètres, on entend des frottements de branches dans les fourrés.
Je redemande la direction. Encore dix mètres, quinze mètres. Voilà Lyon-Caen. Pauvre camarade, encore vivant, mais bien seul... et terriblement touché.
A voix basse je me fais confirmer qu'il n'y a plus personne plus loin. A trois nous portons Lyon-Caen. La troupe, qui a piteusement suivi, s'empresse maintenant. Je fais prévenir les SAS, sur l'autre direction, que je les attends derrière la crête de la colline.
Maintenant que le danger est passé, les FFI traînent malgré les balles qui sifflent. Ils savent qu'ils n'ont plus que dix mètres à faire pour ne plus rien craindre. Alors ils font les farauds. Us se rassemblent, debout, pour allumer leurs cigarettes. Ils prennent tout leur temps pour bien montrer qu'ils n'ont pas peur, qu'ils n'ont jamais eu peur.
Mais une balle perdue tue aussi bien qu'une autre, et la colère me prend quand je leur crie de se baisser et de « f... le camp ».
Les hommes aguerris n'éprouvent pas le besoin d'adopter des attitudes pour prouver qu'ils sont courageux. Et une troupe est aguerrie quand elle sait se replier aussi vite, avec autant d'ordre, aussi secrètement que si elle allait au contact d'un ennemi à surprendre. Le vrai courage sait tenir compte du danger." Laurent Laloup le dimanche 24 mai 2009 - Demander un contact Recherche sur cette contribution | |