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Emmanuel Marie Joseph Dupont - son Livre ouvert ! Capitaine Dupont par Jean Silvy (...) Comment, en effet, ne pas évoquer sa mémoire lorsqu'on parle du bataillon de chasseurs, car il en fut l'âme.
Sorti de Saint-Cyr en 1933, avec la promotion du Tafilalet, il est affecté tout de suite aux chasseurs et c'est dans les sections d'éclaireurs qu'il se signale très rapidement.
La guerre le trouve à Chamonix où il est instructeur à l'École de Haute-Montagne. Il part en Norvège avec la 5e demi-brigade de chasseurs qui opérera dans le secteur de Namsos.
Rentré en France où il tente une impossible liaison avec son bataillon débarqué quelques jours plus tôt, il essaie en vain de secouer trop d'énergies défaillantes dans les derniers jours de la campagne, puis dans des conditions dramatiques, il regagne l'Angleterre sur un petit bateau et retrouve au camp de Trentham-Park, les éléments sains et saufs du corps expéditionnaire de Norvège.
Le général Bethouard lui confie immédiatement le commandement des 350 jeunes arrivés de France et pendant les jours qui précèdent et suivent l'armistice, dans les sombres heures où se joue le sort de la France, par son calme, son énergie, sa jeunesse, où d'emblée ils reconnaissent un des leurs, par sa droiture, sa foi, l'aide morale qu'il leur apporte dans le choix d'une décision grave entre toutes, il mérite le respect, la confiance, l'affection de ses futurs chasseurs.
Pendant des mois, à Delville, à Camberley, à Old Dean, comme commandant de compagnie ou comme adjoint du capitaine Hucher, il rayonnera sur le bataillon tout entier. Ses belles qualités physiques, entretenues par un entraînement matinal et quotidien (Dupont était un athlète), alliées aux plus hautes vertus morales, avaient vite fait de lui auprès des jeunes comme des anciens, le chef idéal et complet.
À la course, au saut, à la nage, au parcours d'assaut, au tir, il était toujours en tête, imbattable...
Chrétien jusqu'en ses fibres les plus profondes, apôtre par l'exemple plus que par des discours, réservant pour lui seul toutes ses sévérités, toutes ses duretés, il fut sans cesse le plus compréhensif, le plus bienveillant des chefs et des amis.
Il était aussi éloigné du sectarisme que de la démagogie pouvant, grâce à sa valeur propre, être tout simplement et magnifiquement lui-même. Combien qui ne partageaient ni sa foi, ni sa manière de voir, sont allés vers lui un soir de cafard, avant de prendre une décision grave, pour résoudre un cas de conscience. Ils sont légion et si certains lisent ces modestes lignes, ils ne me contrediront pas quand j'affirme que toujours ils sont partis « regonflés », plus calmes et plus légers. S'il s'agissait d'un cas de conscience, Dupont l'avait décortiqué, avait classé par ordre d'importance ses divers éléments, tout était devenu plus clair, la solution s'était imposée d'elle-même.
Intégralement croyant, il était aussi intégralement droit et pur, son désintéressement était proverbial, il ignorait tout calcul, toute manoeuvre intéressée.
D'une intelligence lucide, d'une culture vaste et infiniment variée, il s'intéressait à tout, à son métier d'abord, aux sciences, aux arts, aux lettres ; il lisait beaucoup, prenait des notes. De tout il tirait quelque chose pour enrichir ceux qui l'entouraient, pour intéresser ses hommes, pour se perfectionner, lui-même.
Sa vie était réglée heure par heure, de l'éducation physique du matin au quart d'heure de silence qu'il s'imposait chaque soir, à ce « bain de cerveau » où tout autre que lui aurait noté la richesse exceptionnelle de la journée, et où il ne trouvait lui que matière à de nouvelles résolutions, pour que demain soit meilleur qu'aujourd'hui.
Ordonné et méthodique, il, avait horreur du désordre et de la saleté ; il voulait des hommes propres, aux cheveux courts, au menton rasé ; bien habillés et fiers de leur uniforme. Il exigeait des maniements d'arme énergiques, des défilés parfaits. Il saluait comme lui seul savait saluer et ceux qui ont connu ce salut ne peuvent l'oublier : il était fait à la fois d'énergie dans l'exécution et de profondeur dans le regard, ce regard, véritable coup de fouet qui rendit plus d'une fois courage à un chasseur fatigué, à un camarade découragé...
Devant lui, on rectifiait automatiquement la position, on reprenait sa place dans le rang, on redressait son arme, car ce chef essentiellement bon savait être dur... il respirait l'autorité et nul à ma connaissance ne s'avisa jamais de lui manquer de respect.
Il connaissait ses hommes, les aimait, mais ne perdait jamais de vue qu'il devait en faire des soldats au corps solide et au caractère viril. Il les estimait trop pour se permettre avec eux certaines faiblesses. Le secret de sa réussite fut d'être pour chacun d'eux un ami, sans jamais cesser de demeurer « le chef ».
Comment y parvint-il ? En grande partie, je crois, parce que s'adressant à des jeunes, il était lui-même un « jeune ». Un jeune avec tout l'enthousiasme, toute la générosité, l'absence de calcul, le besoin de se donner - un jeune avec toute la gaîté, l'entrain, l'inattendu, l'amour du nouveau, l'horreur du conformisme - un jeune, parce que sans cesse poussé par le démon de la lutte et toujours en alerte, il luttait pour tout : pour obtenir des armes, comme pour obtenir un commandement, pour sortir un soldat de l'ornière, comme pour obtenir des changements qu'il jugeait indispensables. Il luttait contre lui-même pour améliorer sa forme physique, pour augmenter son potentiel de chef. Il luttait toujours, sans se décourager jamais...
Il ne fut pas donné au capitaine Dupont de mener au combat les jeunes qu'il avait formés, d'autres unités l'attendaient, mais du moins eut-il la satisfaction de les voir tous se conduire magnifiquement dans les diverses formations où les conduisit le hasard de la guerre, et je me souviendrai comme l'un des plus beaux témoignages qu'un chef puisse recevoir, de centaines de jeunes ayant combattu au Fezzan, en Tunisie, en Lybie, et venant sur la plage de Sabratha en Tripolitaine, rendre compte de leur « baroud » à celui qui, en 1940, malgré leur jeune âge, le premier, leur avait fait confiance.
Beaucoup de ces jeunes sont morts, ayant à peine 20 ans, sur les champs de bataille d'Afrique, du Moyen-Orient, d'Italie, de France, d'Indochine.
Le capitaine Dupont fut lui-même mortellement blessé aux portes de Paris, à Fresnes, le 24 août 1944, à la tête de sa compagnie, la 11e du Régiment de Marche du Tchad.
C'est, en effet, avec la 2e D.B., avec la 1re D.F.L., avec les parachutistes, que les survivants de ce bataillon rentrèrent en France pour la libération du territoire. C'est là qu'ils apprirent la mort de Dupont, de celui sur lequel tant de jeunes comptaient encore pour les guider au lendemain de la victoire, comme jour après jour il avait su les guider au lendemain du désastre, de celui qui écrivait dans ses notes, cette phrase dont toujours il fit sa ligne de conduite « se donner généreusement et gaiement à la tâche, quotidienne, même quand elle est ennuyeuse et dure, en faire un don d'amour, une prière ».
Anciens du bataillon de chasseurs, souvenons-nous !...
Souvenons-nous de ceux d'entre nous qui dorment paisiblement avec leurs camarades de combat, dans les cimetières britanniques...
Souvenons-nous de ceux qui reposent à travers la vaste Afrique, comme en Syrie, en Italie, en France, en Indochine...
Souvenons-nous du capitaine Dupont - plus qu'aucun autre il a souffert des longues attentes de cette guerre - seul peut-être il ne le montra jamais ; qu'il reste pour nous intimement mêlé au souvenir du bataillon le plus pur témoignage de nos efforts passés, de nos souffrances et de nos joies, et le guide lumineux de nos efforts futurs...
Souvenons-nous de notre amitié forgée au fil des bons comme des mauvais jours... de nos chansons...
Souvenons-nous pour mieux entreprendre...
Jean Silvy  roumeguere le lundi 14 janvier 2013 - Demander un contact Recherche sur cette contribution | |