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Sacrée drôle de Guerre, de Pierre Bourgoin (Sous le pseudonyme de Saint-Roc) :
"3 juin AU SOIR.
La section s'est fait sonner. Une bombe vient de tuer le Sergent-Chef Semsoff,le sous-officier adjoint. La journée paraissait achevée. Tirs habituels d'artillerie, du 88, du 105, qui éclataient rageusement dans une boule de poussière. Dans nos trous, pas grand chose à craindre.
Quatre fois de suite, les bombardiers étaient venus. La nuit tombait, on pouvait se croire tranquille. Ils ont fait un cinquième passage. Soudain, l'un des avions s'est détaché de la formation, tourna lentement pour laisser tomber ses bombes sur les emplacements d'un groupe.
Quand je suis arrivé, le lieutenant tenait Semsoff dans ses bras. Le Chef avait le regard fixe, le nez pincé de ceux qui vont mourir. — « Mon lieutenant, s'il vous plaît, posez-moi le bras sur la poitrine ». Quelques secondes plus tard, un peu agacé, il répéta la même prière : — « Mon lieutenant, je vous en prie, mettez-moi donc le bras sur la poitrine ! ». — « Mais tu l'as, mon vieux ! » Semsoff baissa les yeux, vit sa main droite, le poignet déjà cireux, le bras broyé, relié au corps par un lambeau de muscle. « Ah bon, je comprends!... »
La poitrine était atteinte. Il tremblait de froid. Nous l'avons recouvert de capotes. En évitant les secousses, on l'a chargé tant bien que mal dans une ambulance qui cherchait des blessés. L'Officier serra sa main gauche : « J'irai te voir à l'hôpital, vieux Semsoff » — « II faudra vous dépêcher alors mon Lieutenant... » II est parti en essayant un pauvre sourire.
Deux autres sont légèrement blessés. Le souffle de la bombe, en bouleversant l'épaulement, avait enterré deux caporaux près des fusils-mitrailleurs. L'un, puissant, coincé jusqu'à la poitrine, essayait de se dégager avec de grands gestes des bras comme un titan qu'une boue mouvante tenterait d'enliser. L'autre, prisonnier jusqu'au col dans l'enchevêtrement des rocailles et du sable, calmait les sauveteurs : « Attention, bon Dieu, vous allez me tuer ! » Près de sa tête, une pierre énorme n'attendait qu'une poussée minuscule pour l'assommer. Tous deux n'ont que des contusions.
C'était un chic type, le chef Semsoff, un garçon loyal, juste et bon, qui s'entendait merveilleusement avec son Officier. La vie pour lui fut dure et je crois qu'il va mourir." Laurent Laloup le lundi 23 février 2009 - Demander un contact Recherche sur cette contribution | |