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"...1. De l'Indochine à Bizerte
Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, l'Aéronautique navale, éreintée et exsangue, est reconstituée rapidement en s'appuyant sur le plan MDAP (programme d'assistance militaire mutuelle). La Marine Nationale reçoit à ce titre quatre porte-avions, les Dixmude et Arromanches (ex Biter et Colossus de la Royal Navy), les La Fayette et Bois Belleau (ex Langley et Belleau Wood de l'US Navy).
Le matériel volant est renouvelé sur le même principe et bientôt les cocardes à hameçon ornent les fuselages de Supermarine Seafire et Douglas Dauntless. Plus tard, Grumman Hellcat et Curtiss Helldiver viennent s'ajouter à cette dotation. Malheureusement, ces machines sont pour la plupart à bout de souffle et il faut rapidement envisager l'acquisition d'avions neufs afin d'assurer à l'aviation embarquée une efficacité opérationnelle cohérente.
Pour couvrir les besoins en chasseurs monomoteurs, trois solutions sont envisageables : le Hawker Sea Fury, le Grumman Bearcat et le Vought Corsair dans sa version AU-1. Seul ce dernier est encore en production.
Caractérisé par un armement de quatre canons de 20 mm, dix points d'emport sous les ailes et trois sous le fuselage, l'AU-1 est optimisé pour l'attaque à basse altitude, son moteur Pratt & Whitney R-2800-83W ou -83WA très puissant (2 300 CV) étant pourvu d'un compresseur à simple étage limitant le plafond opérationnel à environ 6000 mètres. Désirant un appareil apte à assurer la défense aérienne de ses porte-avions, la Marine demande que soit greffé au fuselage de cet avion un moteur P & W R-2800-18W de 2 100 CV, muni d'un compresseur double étage afin d'assurer une puissance constante en toute circonstance. Le F4U-7 naît donc de la fusion d'une cellule d'AU-1 et d'un moteur de F4U-4, la version de chasse standard produite de 1945 à 1947.
Il convient de signaler que, si les cellules des avions sont neuves, les Pratt & Whitney sont des pièces d'occasion remises en condition, ce qui n'est pas sans risque. Les F4U-7 vont souvent connaître, surtout au début de leur carrière, des difficultés avec la commande de pas d'hélice, entraînant des sur-régimes moteur pouvant mener à l'accident tragique.
Les derniers Corsair
94 exemplaires sont commandés début 1952. Le prototype (XF4U-7) vole dès le 2 juillet de la même année alors que le premier exemplaire de série (n°133652) sort de chaîne le 4 août et effectue son premier vol le 7, piloté par le lieutenant de vaisseau Duval. Le dernier exemplaire sort de l'usine de Dallas le 30 janvier 1953 et s'adjuge le titre symbolique de 12582ème et dernier Corsair construit. Une dizaine d'AU-1 recevront cependant un numéro de série supérieur, mais ces cellules étaient sorties d'usine bien avant, et le n°133832 demeure donc un "Last of the Many" (que l'on peut traduire par "le dernier de l'une longue série").
Dotation
La première flottille à être dotée du Dash 7 est la 14F, créée pour la circonstance le 15 janvier 1953 sous le commandement du LV Pierre Ménettrier et basée à Karouba (Tunisie) Deux mois plus tard, la 12F, commandée par le LV Roger Vercken, échange ses Hellcat, avec lesquels elle revient d'une longue et éprouvante campagne de guerre en Indochine, contre le nouvel avion de Vought. Une troisième flottille, la 15F, est créée le 15 octobre 1953 et placée sous le commandement du LV Gras. L'histoire de la quatrième unité de Corsair, la 17 F, commencera sous l'autorité du LV Gaston Massuet le 1er avril 1958. en tant que flottille d'entraînement pré-opérationnel (FEPO).
Deux autres unités utiliseront le Corsair dans un cadre moins belliqueux. L'escadrille de servitude 10S emploiera quelques Corsair à la fin des années cinquante en compagnie d'Avenger et autres Helldiver. Deux d'entre eux seront d'ailleurs détruits le 2 décembre 1959 lors de la tristement célèbre rupture du barrage de Malpasset. La 57S (escadrille école) fera, elle aussi, voler une dizaine de Corsair de 1959 à 1962, année de sa dissolution.
Corsair en Indochine
Début 1954, la bataille qui s'engage à Ðiên Biên Phû oblige l'état-major de la Marine à envoyer la 14F en renfort. L'urgence de la situation fait que seul le personnel de la flottille est envoyé en Indochine où il doit prendre en compte, sur place, 25 modèles AU-1 prêtés par les États-Unis pour la circonstance. Partis le 15 avril de Tunis en avion civil réquisitionné et en avion-cargo du MATS (transport aérien militaire américain), les marins arrivent à Tourane le 17, juste à temps pour accueillir les Corsair livrés le jour même par le porte-avions USS Saïpan. Les 25 AU-1, des vétérans de la guerre de Corée, sont immédiatement déclarés indisponibles et livrés aux bons soins du "Royal Cambouis" (NDLR : surnom donné aux mécanos).
Les premières missions de guerre sont engagées quelques jours après, une fois les appareils révisés. Les Corsair frappés de l'insigne bientôt légendaire du "Corsaire Borgne", dû à la plume du LV Jean Montpellier, officier en second, appuient de leurs armes la garnison assaillie. L'avion se rend rapidement extrêmement populaire par sa vitesse, son armement, ses qualités de plate-forme de tir et sa robustesse.
Ðiên Biên Phû tombe malgré tout le 7 mai au matin, entraînant les survivants dans une captivité ignoble. La diplomatie française, en pleine négociation des Accords de Paris, en subit aussi le contrecoup. Les opérations militaires ne cessent pas pour autant, les AU-1 continuent leurs missions d'attaque des infrastructures Viêt-minh et d'appui rapproché des soldats français.
En octobre, les F4U-7, arrivés d'Afrique du Nord à bord du Dixmude, les remplaceront. Les AU-1 seront alors transportés à Manille par l'Arromanches et rendus aux USA qui les stockent aussitôt.
Retour en Afrique
L'Algérie et ses opérations de maintien de l'ordre attendent maintenant les Corsair bleus de la Royale.
Depuis la "Toussaint Rouge" qui marque le véritable commencement de la Guerre, les troubles ne font qu'empirer. L'Aéronautique navale est, elle aussi, mise à contribution pour des missions d'appui feu. Les quatre flottilles de F4U-7 sont déployées à tour de rôle à Telergma, sur la BA 211 de l'Armée de l'Air, mais aussi, par des détachements à partir de cette base, sur un grand nombre d'aérodromes à travers l'Algérie, le Maroc et la Tunisie en fonction des zones d'opérations. Les missions sont nombreuses et, là encore, les qualités du Corsair font merveille. Le tribut à payer est pourtant lourd. Pas moins de trente avions sont crashés en Afrique du Nord de 1954 à 1962, par accident ou par le fait de l'ennemi causant ainsi la mort de quatorze pilotes bien qu'aucune des pertes humaines ne soit attribuée directement et officiellement aux fellaghas.
Pour reconstituer son parc avions, en 1957 et 1958 l'Aéronautique navale se fait à nouveau prêter un total d'une soixantaine d'AU-1. Parmi les avions livrés dans ces lots figurent plusieurs vétérans de Ðiên Biên Phû… La 12F est équipée uniquement avec cette version de 1958 à 1963 et la 17F de 1959 à 1962, tandis que les autres flottilles comptent dans leurs rangs les deux types de Corsair. Pour les pilotes, les différences entre les deux avions sont si minimes que rien ne justifie la moindre transformation. Il arrive donc fréquemment que les patrouilles soient mixtes. Mécaniquement, seuls les spécialistes des moteurs peuvent apprécier les différences et gèrent de toute façon la maintenance des deux parcs.
À plusieurs reprises, suite à de dramatiques accidents, les avions Vought seront interdits de vol en Algérie. En particulier en 1954, où après le crash du maître Faure à bord du 12F3 (n°133689), les avions seront cloués au sol obligeant la 12F à revoler temporairement sur F6F-5 Hellcat.
Suez
En dépit de leur rôle essentiel en Indochine et en Afrique du Nord, les Corsair de la Royale sont entrés dans la légende autrement, en arborant les bandes jaunes et noires des opérations sur Suez.
Alors que la France est engagée dans une guerre qui ne dit pas son nom, elle doit faire face, comme l'Angleterre, à un acte de haute valeur symbolique. En juillet 1956, Nasser, le président égyptien, décide de nationaliser la compagnie du canal de Suez afin que son peuple puisse bénéficier de la manne financière des péages perçus sur les navires empruntant ce passage. L'intérêt économique et stratégique n'échappe évidemment à personne, pas plus aux européens qu'aux deux super puissances, USA et URRS, et aux pays en voie de développement. Les Français et les Anglais ne l'entendent pas de cette oreille et préparent rapidement, avec l'appui d'Israël, une opération militaire afin de reconquérir par la force la zone du canal. L'opération "Mousquetaire", bientôt modifiée en "Mousquetaire Révisé", commence dès septembre par la mise en alerte des unités concernées mais quelques tergiversations reportent l'exécution de l'opération.
Les deux porte-avions français, le La Fayette et l'Arromanches, sont dépêchés sur place en tant que Task Unit 345.4.2 sous les ordres du contre-amiral Caron. Les avions sont répartis de la manière suivante : 14 F4U-7 de la 14F du LV Jean-Pierre Cremer ainsi que les TBM Avenger de la 9F sont embarqués sur l'Arromanches, le La Fayette recevant les 18 F4U-7 de la 15F du LV Jacques Degermann et un détachement de 4 Corsair de la 14F. ..."
aerostories.free.fr  laurent le dimanche 23 août 2009 Contribution au livre ouvert de Jean Pierre Gervais Lionel Cremer | |