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Extrait de "Mémoire d'un agent secret de la France libre T3", par Remy " — Vous êtes Allemand et je suis Français. Votre pays eût été envahi que vous auriez fait comme moi, et vous auriez eu raison.
Un silence. Puis :
— Ça va. Descendez.
Je regagne la salle d'attente, ayant toujours les menottes aux poings. Deux ou trois petits voyous, autonomistes bretons engagés par la Gestapo, montent la garde, tenant leurs mitraillettes braquées sur moi.
14 heures. — Je remonte. Attention.
— Connaissez-vous Dordain ?
Dordain, c'est Lecerf, dont je sais qu'il est mort.
— Oui.
— Et Loubatié ?
Loubatié, c'est Alevin. La sueur me perle aux tempes.
— Loubatié ? Oui, mais comme simple commerçant. Il n'a jamais travaillé pour nous et n'appartient pas au réseau.
— Et Millour ?
C'est Castillan. Je le sais en fuite et peux y aller :
— Oui.
— Allez! vous connaissez tout le monde. Parlez, ou gare !
— Bon. Je vais vous donner mon emploi du temps depuis mon intégration au réseau.
Je reprends ma déposition de Paris. Les précisions d'ordre général que je leur fournis sur la centrale paraissent leur donner satisfaction sans que je leur apporte rien de nouveau. A partir de ce moment, je m'aperçois que leur connaissance de l'affaire porte surtout sur la partie la plus intéressante déjà débrouillée par Paris, savoir :
1) la destruction de la centrale ;
2) l'organisation de la liaison aérienne, dans laquelle ils m'entraînent et où je les suis docilement car, n'y connaissant rien, je ne puis, par conséquent, compromettre personne. J'en déduis que Dutertre n'est pas pris ;
3) la liaison maritime sauvée par Sorel et en partie par Coco.
Puis arrive sur le tapis ce que je redoutais le plus : la question des U.C.R. Je déclare que seul l'U.C.R. Ajonc a été équipé et me décharge tant que je peux Sur le pauvre Lecerf qui en était responsable, puisqu'il est mort.
Je déclare qu'en effet j'ai été chargé d'établir des U.C.R. en Bretagne, mais que j'ai seulement repéré sur le terrain un observatoire contrôlant les points stratégiques importants, comme les croisements de routes nationales et de voies ferrées. Puis je me décharge de tout le travail sur Alex, qui est mort, alléguant qu'il n'a fait que me transmettre les différents réseaux qu'après les avoir organisés, même le réseau Chevalière. Ma de'posi-tion, établie sur trois pages, ne compromet que les morts et ceux qui sont à Londres. Ils me font signer, c'est fini. Pourvu que cela tienne ! On m'appelle, je descends, ces messieurs de la Gestapo sont là.
— Vous ne connaissez personne d'autre à Quimper ?
— Non.
— Et Cariou ?
La question est accompagnée de deux coups de poing dans la figure. Le nom de Cariou est inconnu dans le réseau.
— Cariou ? Connais pas.
— Appelez Loubatié !
Le pauvre Alevin descend, soutenu par un camarade. Il a été roué de coups de la tête aux pieds. J'auais reconnu que je le connaissais en tant que commerçant et cela a suffi pour lui faire recevoir une magistrale correction dont il ne me tient pas rigueur, car ce n'est pas à cause de moi qu'il a été arrêté pour la seconde fois. Ils l'ont repris le 3 juin, jour où je quittais l'Allemagne, à la suite des déclarations d'un type que je ne connais pas, ami de Castillan, et qui a accolé les deux noms : Faucon et Loubatié. Après, c'est fini, ils me laissent en paix.
16 juin 1944. — A la prison, en communiquant par les fenêtres, je retrouve Lhermitte dans la cellule au-dessus de moi, arrêté pour des raisons étrangères au réseau. Je retrouve aussi les filles du Lutteur, notre ami Le Caïonnec (asile radio de Saint-Thuriau), deux admirables petites Françaises dont je ne saurais trop faire remarquer l'esprit de dévouement, de sacrifice et de bravoure.
29 juin 1944. — Je suis désigné pour repartir en Allemagne.
30 juin 1944. — Nous partons. Je retrouve Alevin et Lhermitte. Nous embarquons de nuit à Saint-Jacques-de-la-Lande, en wagons à bestiaux. 36 hommes par wagon et la Wehrmacht pour nous convoyer. Ça va : ce ne seront pas ces imbéciles qui m'enverront en Allemagne. ..." Laurent Laloup le vendredi 26 septembre 2008 Contribution au livre ouvert de Yves François René Marie Millour | |