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"Une sacrée guerre", de Pierre Clostermann & Daniel Costelle " De notre petite bande, Remlinger, Clerc-Scott et moi, Mathey était certainement le plus original, avec les chaussettes jaunes qu'il s'obstinait à porter « parce que - disait-il - cela lui rappelait qu'il était un civil embarqué dans cette aventure, mais toujours un civil. » C'était un sacré pilote. Quand il est arrivé à l'« Alsace » il portait par surcroît un pull-over jaune - sa couleur favorite - sous sa veste d'uniforme. Mouchotte, mi-figue, mi-raisin, me l'avait confié pour le tester.
Nous décollons chacun dans un Spitfire et nous commençons entre les nuages un combat tournoyant. Je lui prépare le coup du lapin à ma façon puis, tout à coup, je ne le vois plus. J'entends alors à la radio sa voix traînante...
- Ta-ta... ta... t'es mort!
Il était derrière moi en position de tir.
Longtemps il avait préparé son départ pour Londres. « Par l'Espagne, d'accord, mais ils se font tous prendre parce qu'ils ont l'air de clochards. Moi je pars avec une valise en croco, des pantalons de golf, une veste en tweed d'Old England, le grand chic. Arrivé aux Pyrénées, je sors de ma valise mon anorak, j'achète une paire de skis à Font-Romeu, et je traverse les Pyrénées comme ça. (Habitant Besançon, il skiait comme un champion.) Arrivé de l'autre côté, je retire mon équipement, je fais du stop. A la première bagnole qui s'arrête, je dis, avec un accent américain : " Ma Rolls est en panne là-bas, conduisez-moi s'il vous plaît à Barcelone... " »
A Barcelone, tout de suite au consulat d'Angleterre, qui s'en est vite débarrassé en le mettant dans un train, première classe, pour Lisbonne. A la frontière, problême, hélas. La P.I.D.E., la police secrète portugaise, le prend et le coffre au poste frontière. Comme il se disait que son aventure était terminée, voilà qu'un type de la P.I.D.E. vient le voir : « Je suis pour les Alliés ». Il laisse la porte ouverte et lui donne une adresse. C'était une maison de passe bien connue de Lisbonne. Il y séjournera bon nombre de jours, le temps que les Anglais s'intéressent à lui. Sage élève des jésuites, il va enchanter ces petites dames et participer, pour rendre service, à des... tableaux vivants... Jusqu'à ce qu'il découvre qu'il suffisait de faire semblant, il s'est bien amusé. Quand les Anglais sont venus le chercher, il était temps, il marchait sur les rotules et avait maigri de dix kilos, qu'il n'a jamais récupérés.
Il était devenu notre quatrième mousquetaire. Rem-linger et lui se saluaient tous les matins en soulevant leur casquette comme un chapeau melon. C'était mal vu et exaspérait les autorités. Jusqu'au bout il a été original. Il s'est fait descendre pendant l'affaire d'Arnhem, par la Flak. Vous savez, « un pont trop loin » pour la division parachutiste britannique. Mathey, Indiana Jones avant la lettre, arrive à poser son Spitfire sur le ventre, saute de son avion, court, bondit par-dessus une haie, retombe de l'autre côté, au milieu du pique-nique... de quatre officiers allemands. Il est aussitôt cravaté et soumis à un interrogatoire musclé. Les gens de l'Abwher croyaient qu'il était polonais, pourquoi, on ne sait pas, et lui tapaient dessus pour le faire avouer. C'était difficile, et pour cause. Ils insultaient sa mère en polonais - cela laissait Henri froid. Il est donc expédié dans un camp où on saura le faire parler... Dans le train, il fait à ses gardiens le coup classique qui marche toujours : « Je veux faire pipi. » II bloque la porte, ouvre la fenêtre; maigre comme un clou, il arrive à se faufiler hors entre les barreaux. Mais le train avait pris de la vitesse et la sentinelle allemande commençait à enfoncer la porte. Impossible de rentrer, les poteaux télégraphiques lui défilaient au ras des fesses. Foutu pour foutu, il lâche tout, tombe dans le fossé, roule et, miracle, il n'a rien de cassé! Il part vers l'ouest, et le soir venu observe un peu la situation autour d'une ferme isolée. A première vue, rien à craindre, il n'y a qu'une fermière qui donne à manger à ses poules. Il y
va.
Un mois après il y était encore. Elle cachait ses chaussures la nuit dans un coffre fermé à clé. Le mari était depuis deux ans prisonnier en Russie... Il est parvenu à partir, après bien des serments, jurant qu'il reviendrait après la guerre. Le mari est revenu avant lui ! Direction Cologne. Il voulait sans complexe passer le Rhin à la nage, les Alliés étant de l'autre côté. Mathey ne doutait de rien.
Arrivé à Cologne au milieu d'un bombardement, il est pris dans les décombres, une brique sur le crâne. Il se retrouve à l'hôpital, contrôle d'identité et en avant encore pour un camp en Prusse orientale. Il arrive en pleine offensive russe, s'évade, les cosaques le coffrent et le prennent pour un Teuton camouflé. A nouveau les baffes et un interrogatoire, cette fois hyper musclé. Une fois de plus il réussit à s'enfuir. C'est ainsi que nous l'avons vu arriver en Angleterre, plus maigri que jamais, trépignant pour retourner au combat. L'armistice l'a probablement sauvé.
Voilà le genre de garçons qui étaient chez nous...
La bande à Clo-Clo, dans la photo des pilotes de l'«Alsace» en mai 1943, publiée dans Le Grand Cirque, tous en grande tenue, est reconnaissable aux Mae West qu'ils portent, étant d'alerte ce jour-là à exception de Clerc-Scott. La Mae West, entre parenthèses, c'était le gilet de sauvetage que nous portions toujours en vol - l'Angleterre est une île, ne l'oublions pas. Les deux boudins de kapok rappelaient les plantureux avantages de la fameuse star d'Hollywood, d'où le nom.
Nous sommes six équipés - soit une section complète -, en alerte à trois minutes. Dans l'ordre sur la photo, de droite à gauche : Mathey, Clerc-Scott, Bruno, moi-même, Remlinger à côté de moi évidemment, Laurent et Farman.
Quand je revois cette photo je pense aux rares survivants, parmi eux Girardon et Laurent, plus tard généraux de l'armée de l'air avec Henri de Bordas, futur chef du cabinet militaire du général de Gaulle. A côté de Boudier, je vois Pabiot, pilote d'Air France, mort dans l'accident du DC4 de Lyon. Le petit Bruno aussi est entré à Air France - il est mort dans l'accident du Viscount de Marchandises... Sic transit!
Avec mon ami Henri de Bordas - mon compagnon dans l'ordre de la Libération - nous prenions souvent l'alerte ensemble quand Jacques est reparti au 602.
Un jour de temps particulièrement bouché, l'escadre de Biggin Hill avait été released - repos pour vingt-quatre heures - ; il fallait un temps vraiment pourri pour ça : brouillard et nuages à 50 mètres ! Nous allions monter sur Londres, quand le haut-parleur demande une paire d'alerte immédiate. Mes fonds étaient en baisse. Je tombe sur Bordas dans le couloir. O.K. on y va." Laurent le dimanche 05 juillet 2009 - Demander un contact La page d'origine de cette contribution Recherche sur cette contribution | |