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Joseph Jean Arthur Jeffredo - son Livre ouvert ! "Ce jour-là il pleuvait des briques
À cette époque, le Squadron 342 "Lorraine" opère à partie d'Epinoy à proximité de Lens.
Vols de jour, vols de nuit se succèdent à une cadence modérée par suite des conditions atmosphériques, mais quelle satisfaction ils procurent ! Nous nous enhardissons et attaquons des objectifs en Hollande puis, le 27 septembre, pour la première fois, en Allemagne. Les ordres de mission sont présentés selon le schéma habituel. Seule, la recommandation finale de ne pas lâcher les bombes en cas de non-identification de l'objectif est remplacée par la mention :
- « En aucun cas, ne ramenez les bombes. »
C'est bien la moindre des choses, n'est-ce pas ? Et, naturellement, Diot profite de l'occasion pour jouer un nouveau tour à sa façon. Il ne cesse de demander, alors que nous naviguons au-dessus d'une couche de nuages :
- « Où sommes-nous, "Petit-Pont" ? On est sur l'Allemagne, dis ? »
Après quatre appels, "Petit-Pont", exaspéré, répond :
- « Oui, on est sur l'Allemagne »
Pourquoi tant d'insistance à connaître la position ? C'est inhabituel chez ce bougre, uniquement préoccupé d'ordinaire à scruter le ciel et à s'assurer du bon fonctionnement de sa tourelle de mitrailleuse.
À l'atterrissage, "Petit-Pont" et moi comprenons, quand le capitaine Jeffredo, observateur de Bernard Citroën qui volait à quelques mètres derrière et légèrement en dessous de notre Boston, se précipite, couvert de sueur, en vociférant :
- « La guerre, c'est la guerre. On veut bien prendre des risques, c'est normal, mais voir passer des parpaings au ras des hélices, ce n'est plus du jeu ! »
L'explication est simple : Diot, aidé de son compère Caillot, avait ramassé et chargé à l'arrière du Boston - et à mon insu - quelques centaines de kilos de blocs de briques, restes des fondations d'une vieille baraque démolie, au risque de provoquer une catastrophe au décollage et, dès la certitude acquise du survol du territoire allemand, les avait fait glisser par la trappe inférieure. Dans son nez vitré, impuissant, Jeffredo avait assisté à la manœuvre.
Diot et Caillot sont penauds en apparence car, au fond d'eux-mêmes, ils se réjouissent d'avoir, à leur manière, renouvelé le geste de Ricardou lançant à sa dernière mission sa vieille jambe de bois, celle qui lui faisait mal, sur les Boches.
Jacques SOUFFLET
Extrait de "Un étrange itinéraire" (Éd : Plon)"
aviateurs.e-monsite.com Laurent Laloup le vendredi 03 mars 2023 - Demander un contact Recherche sur cette contribution | |