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Claudel = Claudius ? "Jean Tillier, dit « Debesse » avant de se nommer « Coligny », dont je venais de faire mon adjoint après avoir dirigé Prévost et sa femme sur l'Angleterre, se présentait à son tour en compagnie de son jeune beau-frère Jean-Claude Dumont, dit « Claudius ». Le bureau commençait de bourdonner comme une ruche, tandis que les documents reçus de nos agences s'accumulaient devant nous. Il fallait les lire avec soin, démêlant - souvent dans un même paragraphe - des renseignements qui se rapportaient à des objets différents, puis les rapprocher des informations déjà classées sans rien y changer, avec l'indication chiffrée qui se rapportait à leur source et que notre expérience acquise de courrier en courrier nous permettait de coter en fonction de la valeur de l'informateur : « A1 » signifiant de tout premier ordre; « A », très bon; « B », bon; « C », moyen; « D », douteux, sans oublier, selon la teneur du rapport, les mentions de visu et de auditu. Sammy, qui n'était plus de la première jeunesse, ne cessait, en tapant sur le clavier de sa machine, de protester contre le temps qu'il faisait, contre les hommes en général et les Allemands en particulier, contre les transports, contre l'écriture de nos correspondants. J'avais renoncé à lui confier la copie des rapports que notre excellent camarade René L’homme, dit « Cyclo » pour son amour du vélo, et chef de l'agence « Vintage », persistait à griffonner au crayon sur du papier hygiénique. « Si jamais je me fais ramasser, m'avait-il dit, je demande à aller au petit endroit, et hop ! en cinq sec, tout disparaît. » Un éclatant coup de trompette nous faisait sursauter. « Sacré rhume qui n'en finit pas ! rouspétait Sammy en roulant son mouchoir. Crève de froid ! Pas de charbon chez soi! Pas étonnant : foutu gouvernement! Sait pas s'organiser, tous des veaux ! » Renée étouffait de rire. Imperturbables, Debesse et Claudius découpaient avec leurs ciseaux de minces bandes de papier que je classais méthodiquement d'après les rubriques numérotées du questionnaire que j'avais établi à Londres avec l'aide d'experts de l'armée de terre, de l'aviation, de la marine, de l'industrie, avant de les coller sur des. feuillets que je tendais aux dactylos. L'heure du déjeuner nous dispersait pour peu de temps, et nous nous remettions au travail. Dans la soirée notre camarade Olivier Courtaud, dit « tacot », chef de notre service radio, m'apportait les messages reçus dans la journée sur nos postes, et repartait avec mes télégrammes chiffrés qui contenaient les informations les plus urgentes. Le colonel Touny, chef de l'O.C.M., me rendait souvent visite, suivi de notre camarade Marcel Verrière, qui gérait la trésorerie du réseau alimentée par les dollars que nous recevions de Londres et qu'il savait changer au meilleur cours, par personnes interposées, auprès des Allemands qui s'en montraient friands. Le bon colonel Lévy ne manquait pas de venir prendre l'air de la « centrale » à l'heure de la fermeture, qui se faisait vers huit heures du soir. Après un léger repas, je regagnais mon gîte de la rue Chardon-Lagache. Bénissant l'inventeur des caleçons longs qui, faisant partie de mon personnage, m'empêchaient de trop souffrir du froid, je me déshabillais après avoir étendu mon manteau sur la couche étroite dans laquelle je me glissais comme dans un étui. Le lendemain était semblable à la veille. Pas de dimanches, pas de jours de fête, pas d'exploits à sensation, pas de coups de main, rien d'autre qu'une vie de bureau dont la monotonie me satisfaisait entièrement, car j'avais appris à me méfier du pittoresque. Jamais le rendement du réseau n'avait été si élevé."
Comment devenir agent secret
De Colonel Rémy, Laurent Laloup le mercredi 04 mars 2020 - Demander un contact Recherche sur cette contribution | |