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Jean Bertrand Audu - son Livre ouvert ! "... J'attendis ma nomination de Vétérinaire-Inspecteur stagiaire qui me parvint dans les derniers jours de juillet, pour compter du 29 juin 1934.
Je retrouvai trois camarades de promotion dont deux nouveaux mariés, au Service Colonial, 2, rue Esprit-des-Lois à Bordeaux, pour les formalités de départ, les achats d'effets et d'équipements coloniaux, tenues kaki et blanches, casques, cantines et autres lits de brousse. Jean Audu, Sabin, moi et nos femmes embarquâmes avec Rapin, notre collègue de l'Exo, et un vieux vétérinaire, M. Diard (qui finissait sa carrière), sur le paquebot Amérique des Chargeurs Réunis, le 31 juillet 1934. Sur le bateau se trouvaient deux hauts fonctionnaires, le Gouverneur des Colonies Marches-sou et l'Administrateur en Chef Félix Eboué, des officiers de tous grades, des colonels aux lieutenants. Parmi les épouses de ces derniers, il me souviendra d'une, très timide, quand j'écrirai mon conte Les Mamelles, car à notre approche de Dakar, elle s'était moquée de la petitesse de mes « montagnes » natales.
Le dimanche matin, 5 août, L'Amérique lit escale à Madère.
Le viatique de l'Adminislration de Bordeaux avait été largement entamé et les ménages Sabin et Diop ne s'étaient pas inscrits pour l'excursion organisée. Nous étions descendus quand même à terre à la première heure pour nous dégourdir les jambes et voir un peu la ville basse. Nous fûmes abordés dès les premiers pas sur les quais par un monsieur qui nous proposa de nous faire visiter l'Ile pour... le plaisir de parler français avec nous. Le Senhor Robert Vera Cruez Marquez était un commerçant en vins qui avait longtemps vécu en France. Les bateaux français, nous expliqua-t-il, faisaient rarement escale à Madère, et pas du tout le dimanche, seul jour qu'il avait de libre après la messe.
Il héla un taxi et nous partîmes à travers l'Ile jusqu'à Funchal où Vera Cruez Marquez nous montra, entre autres curiosités, dans ce cadre splendide de la montagne, la Maison des Nouveaux Mariés, où sa jeune sœur avait passé sa lune de miel la semaine d'avant. Il ne nous laissa rien payer, ni les fleurs, ni les apéritifs, ni notre part du déjeuner dans une auberge, ni le taxi. Il regretta, pour comble, de n'avoir pas pu nous emmener dans ses caves pour nous faire goûter de ses portos.
Quand nous remontâmes sur le bateau au soir de cette journée mirifique, c'est lui qui attacha la corde qui servait à faire monter sur le pont le salon en osier que j'avais acheté 100 francs après force marchandage au bas de la passerelle.
Nos co-passagers ne voulurent pas croire un seul mot du récit que nous leur fîmes. Et Jean Audu nous demanda si Vera Cruez Marquez n'était pas un ami de longue date. Il l'était devenu pour moi, le temps ne faisant rien à l'affaire en matière de sentiments. ..."
BIRAGO DIOP La Plume raboutée  Laurent Laloup le mercredi 18 septembre 2019 - Demander un contact Recherche sur cette contribution | |