Histoires de Français Libres - Des Belges - Blume

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Des Belges

 

Le récit d'Isabelle Blume

 

Isabelle Grégoire est née à Baudour, dans le Borinage, le 22 mai 1892. Fille d'un pasteur protestant, elle épouse David Blume en 1913, lui aussi pasteur protestant.

Isabelle Blume est la bouillante députée socialiste de Bruxelles. Elle s'opposa à la politique de neutralité de la Belgique.

Compromise par son action en faveur de l'Espagne républicaine, elle aussi est pressée de gagner l'Angleterre. Elle a été invitée par Paul-Henri Spaak (ministre des affaires étrangères) à prendre le large, son appartement ayant été perquisitionné par la police allemande dès son entrée à Bruxelles.

Isabelle Blume s'est éteinte le 12 mars 1975. Gravement malade, elle souhaita, quelques mois avant sa mort, confier oralement ses mémoires. Voici donc des extraits d'entretiens recueillis par José Gotovitch, déposés à la Fondation Joseph Jacquemotte à Bruxelles en 1976.

Si vous ne croyez pas que des Français puissent fusiller des Belges en 1940, allez donc voir l'histoire du Kiosque d'Abbeville

Le récit

Mon départ s'est fait un peu plus tôt que je ne le croyais parce que Camille Huysmans m'a demandé de conduire sa famille à la frontière avec Marthe. Nous allons, pour passer, à un poste frontière que Buset m'indique comme étant un poste où l'on me connaît bien et où je n'aurai qu'à montrer mes papiers. Nous allons jusqu'au train de Paris à Aulnoye, nous mettons la famille dans le train, nous revenons. La nuit tombe et Marthe me dit: je ne sais pas rouler la nuit d'autant plus qu'il y a le black-out partout. Alors, je lui dis "ce n'est rien, dans n'importe lequel des villages de la Thudinie je n'ai qu'à frapper à une porte socialiste et on aura bien une chaise à nous donner pour passer la nuit. . ." Car il y avait des tas de réfugiés qui passaient dans des villages.

L'hôtel de ville est éclairé, je vois un homme en bottes noires sur le pas de la porte mais je ne me méfie pas et je lui explique qui je suis et que je demande à avoir une chaise dans une maison socialiste pour me reposer. Le monsieur dit: "Venez avec moi, madame." Il monte sur le marchepied de notre voiture et il nous conduit dans le parc du château du bourgmestre du village. Et là, jusqu'à probablement plus de minuit, a lieu une discussion que le bourgmestre nous rapportera après la guerre: c'était de savoir si on allait nous fusiller tout de suite ou non. Finalement, on nous prend tout ce que nous avions dans la voiture...

Pourquoi veut-on vous fusiller ?

Parce qu'on prétend que nous sommes des espions d’Allemagne. C’était des Français… alors, on nous conduit dans le salon d’une ferme…

Où cela se passe-t-il ?

C'est un village tout à côté de Beaumont. Il y avait une sucrerie et le bourg­mestre était en même temps propriétaire de la sucrerie. Lui nous a défendu parce qu'il connaissait mon nom, il connaissait Camille Huysmans, il était lui-même sénateur ou quelque chose de ce genre. Après cela, on nous conduit dans ce salon, on ne veut pas m'indiquer la toilette et nous devons passer la nuit là. Or j'ai emporté avec moi, malgré l'opposition de mon mari, un petit revolver dont je me sers d'ailleurs fort mal. Nous passons la nuit et le matin un jeune officier vient nous trouver et je lui dis "Ecoutez, indiquez-moi la toilette, ce n'est tout de même pas un endroit stratégique, non!"

Il me l'indique et on se met à bavarder. Il me raconte qu'il était secrétaire des étudiants du Front populaire de la Sorbonne, qu'il a été socialiste, mais qu'il a été dégoûté de tout cela et que maintenant il est un de ceux qui ont crié : "Plutôt Hitler que le Front Populaire".

Il amène son officier supérieur qui me refait l'histoire de France, depuis le traité de Westphalie, et qui montre qu'on a fait fausse route en France. On se méfie parce que nous avions été en Espagne, j'avais toujours mon passeport de chargée de mission. On nous transporte à Wanfercée-Baulet où on nous fouille, mais y compris le corps. On nous met alors dans un camion avec des parachutistes allemands et on nous conduit à Valenciennes, Marthe Huysmans et moi.

Les gens nous crachent dessus quand on passe dans les villages, évidemment Un chargement de parachutistes allemands, deux femmes. . . A Jemappes, j'ai essayé de dire aux gens, je suis Isabelle Blume. . . etc. . . mais les gens sont affolés parce qu'il y a les premiers bombardements, les parachutistes. Ils ne savent plus quoi. Et j'arrive à Valenciennes.

Je dis à Marthe, "tu sais, au revoir, on s'embrasse probablement la dernière fois". On nous fait passer dans une pièce où il y avait un officier français avec une petite barbiche blanche, un capitaine qui prenait note des identités. Et on fusillait dans le jardin.

Tu entendais fusiller ?

Non, mais je savais qu'on fusillait là, sur place. Et alors le monsieur commence à prendre mon identité, puis lève la tête et dit "Madame Blume qu'est-ce que vous faites ici ?" Je dis : "Mais je serais bien heureuse que vous me l'expliquiez". Il appelle le colonel et dit: "Mais c'est Madame Blume député socialiste et je la connais. Il ne faut pas confondre socialistes et communistes, c'est des gens tout à fait différents". Je t'assure que je n'ai pas dit non. Et alors, il continue : "Qui est cette dame ?", et je réponds : "C'est la fille de Camille Huysmans". Il me dit: "Mais enfin qu'est-ce qui arrive ?". C'était un Français qui habitait la Belgique. Moi j'étais très régulière dans la loge des députés au Conservatoire, et, lui, il avait une loge au Conservatoire, tu comprends ? Voilà à quoi on doit la vie sauve !

Alors le colonel a dit: "Maintenant vous allez manger" (nous étions sans manger, je ne sais pas depuis quand) "et puis vous allez retourner, on va vous reconduire à Mons. Votre revolver, je le garde parce qu'il est plus accusateur que défenseur". "Bien sûr, gardez-le". Et nous revenons à Mons pour voir la ville bombardée et des commencements d'incendie.

Nous prenons un train pour Tournai, nous devons descendre plusieurs fois, le train est mitraillé en route, mais nous arrivons à Tournai. Nous y passons la nuit et le matin, je vais acheter une voiture d'occasion. C'était une Ford. Mais voilà que passe toute la coopérative de Charleroi, avec Papart qui s'en allait en France, il évacuait. Je vois Papart; je lui demande des nouvelles, il dit à Marthe: "Tu es folle, tu ne passeras pas, tu iras jusqu'à Leuze ou bien pas plus loin et tu vas tomber nez-à-nez avec les Allemands. Tu ne trouverais pas ton père, mais les Allemands tu les trouveras." Alors, nous avons pris la file et nous sommes parties avec eux en France. Eux, ils allaient à Lisieux, pourquoi Lisieux ? Je ne sais si Notre-Dame devait les sauver, mais nous, alors, à Dunkerque, on a bifurqué sur Paris où je suis allée retrouver la famille qui était là avec la famille Gailly et la famille Buset.

Ta famille ?

Ça veut dire, ma fille. La police avait fait descendre mon gendre qui était juif, en cours de route et, lui aussi, a failli être fusillé et on l'a ramené en Belgique; ça veut dire ma fille, mon fils cadet, et mon petit-fils qui venait de naître et qui avait failli être tué par le premier éclat de bombe tombé sur Bruxelles. L'éclat de bombe est tombé à côté de son berceau.

Ton mari était resté en Belgique ?

Mon mari était mobilisé, il était fonctionnaire mobilisé sur place. Alors nous avons vécu à Paris. J'ai tout de suite été installer un bureau d'accueil au parti socialiste français et on a fait paraître dans 18. presse qu'il y avait un bureau d'accueil pour les socialistes belges, pour les syndicalistes, en donnant l'adresse. Pendant quinze jours, je les ai reçus et Marthe a conduit ma famille dans un village, à Clavette.

Et avec le Gouvernement, tu n'as pas de contact à ce moment-là ?

Non, pas de contact. La première fois que j'ai revu les gens du gouvernement c'est à Limoges, puis après ça, je les ai revus à Poitiers. Et c'est à Poitiers que Spaak ma annoncé qu'il y avait un avion qui viendrait les chercher et que je suis allée à Clavette préparer les logements pour le gouvernement belge. Il n'y est jamais venu, car l'avion n'est jamais venu non plus. Mais Huysmans, avec son chauffeur et son secrétaire est venu s'installer dans les environs de Clavette et quand nous avons appris que les Allemands descendaient, nous avons télégraphié à Buset et à Gailly. Buset est monté tout de suite, et on a décidé qu'on s'en allait.

On est descendu par Bordeaux, et ma fille est restée en France, avec mon petit bébé espagnol que je ne voulais pas emmener sans savoir à quelles aventures je courais.

Je suis partie avec mon fils cadet; ma fille est restée là, elle voulait d'ailleurs retrouver son mari. Ils étaient mariés depuis une bonne année, c'était tout-à-fait normal. Alors nous sommes arrivés à Bordeaux pour nous trouver devoir loger dans le Baudouinville.

Tout le gouvernement belge était là, rassemblé, sauf Marcel-Henri Jaspar qui était parti et on faisait les préparatifs pour recevoir les Allemands. Ah ça, c'était clair, d'ailleurs, ils ne le cachaient pas. Et le lendemain, nous avons eu toutes les peines du monde à persuader le vieil Huysmans de venir avec nous, car tout le monde voulait nous retenir là-bas. Il avait commencé à écrire la lettre, mais après ça il a. . .

La lettre ?

Une lettre que son secrétaire devait reporter à Anvers, enfin pour dire qu'il restait là avec le gouvernement, etc. . . Madame Huysmans et nous tous, nous avons insisté auprès de lui, car il était de nous, probablement, le plus exposé. Alors nous sommes partis.

L'atmosphère était généralement défaitiste

Oh pas généralement, elle était tout à fait défaitiste sur le bateau. Alors nous sommes partis et nous sommes passés par l'Hôtel de Ville de Bordeaux. J'étais hantée par le désir de retrouver Negrin, les Espagnols, parce qu'ils étaient partis, on ne savait pas comment, ils n'avaient pas de passeport, comment allaient-ils échapper, c'était le drame noir. J'ai voulu téléphoner et Marquet qui était le Maire de Bordeaux est venu appeler Huysmans, lui a ouvert la porte et il y avait là siégeant déjà tout ce qui sera le gouvernement de Vichy. Dans l'Hôtel de Ville de Bordeaux, je me suis trouvée au téléphone avec Laval, qui voulait téléphoner avant moi. J'ai dit: "Non, ce que j'ai à faire est plus pressé que ce que vous avez à faire et Je téléphonerai". Alors bien, on est partis, on a laissé là ces Messieurs du gouvernement de Vichy et on est partis jusqu'à Bayonne où on a trouvé Bécu, qui était là avec d'autres marins d'Anvers et avec Delierneux qui était à ce moment à la direction des Prisons.

Voici enfin le Léopold.
Il n'a pas l'air en très bon état mais monter à bord n'est pas gratuit pour autant !

Bécu nous a dit qu'il y avait possibilité de s'en aller parce qu'il y avait, dans le port, un navire non démagnétisé et que l'équipage était prêt à nous conduire en Angleterre, si on les payait. Ils avaient un chargement de grains qu'on n'avait réussi à vendre nulle part et l'équipage n'avait plus été payé depuis je ne sais pas quand. Enfin, nous avons rassemblé l'argent que nous possédions, nous avons donné chacun une certaine somme et on est monté à bord de ce cargo extrêmement fragile et aussi très vieux, mais enfin, on est allé en Angleterre, on est arrivés à Falmouth. Or tout le monde a pu descendre à terre, sauf moi qu'on voulait faire remonter dans le bateau parce que j'avais été arrêtée lors de la réunion de la Deuxième Internationale sur l'Espagne, à Douvres, et que j'étais sur la liste des gens qui ne pouvaient pas entrer en Angleterre. J'y suis toujours !

Huysmans a téléphoné à Attlee et a dit: "Enfin, on ne peut pas laisser Isabelle sur un bateau, et un bateau qui est sur des mines. Elle est avec nous." Attlee a immédiatement donné un coup de téléphone et après nous être nettoyés de cette traversée invraisemblable, on est tous montés à Londres. Je suis allée tout de suite avec les Huysmans qui m'ont pris sous leur protection. Je dois dire que j'ai de Huysmans et de sa femme le souvenir le plus ému et je lui suis restée très attachée, parce que pendant tout ce voyage et pendant l'arrivée à Londres, ils ont été très chics.

A Londres, très rapidement tu deviens ministre.


D'une façon bien éphémère d'ailleurs. Marcel-Henri Jaspar, qui nous avait précédés avait réuni autour de lui les quelques parlementaires qui étaient là, et, évidemment, son rêve c'était de faire comme de Gaulle, de pouvoir envoyer en Belgique un message disant qu'un gouvernement s'était constitué à Londres. Il y avait là un homme comme Camille Huysmans, dont toute l'influence et la carrière politique pouvaient être un garant sérieux et il y avait là Max Buset. On avait donné aussi le ministère de la Défense Nationale, je crois, à Hirsch qui était capitaine de réserve



extraits d'entretiens recueillis par José Gotovitch,
déposés à la Fondation Joseph Jacquemotte à Bruxelles en 1976


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