| | | | Quelques points d'histoire "oubliés" | | | Cousins Francis et Prosper nous racontent ...Il est de tradition, sinon de règle, lorsque se font entendre des bruits de bottes aux frontières, de dresser la liste de tous les suspects de connivence avec l'ennemi potentiel. Cela s'appelle le syndrome de la cinquième colonne. Il en est ainsi dans tous les pays. En 1940, il en fut ainsi en Belgique. La liste comprenait les Allemands et Autrichiens résidents en Belgique ou y ayant trouvé refuge en raison de leurs opinions anti-nazies ou, comme de nombreux juifs, des répressions hitlériennes ; des Italiens antifascistes, des anciens des Brigades Internationales ; des communistes ; des nationalistes flamands ; des rexistes ; également nombre de personnes dont la tête ne plaisait pas au voisin.
Le 10 mai 1940 et les jours qui suivirent l'agression allemande, policiers et gendarmes, plutôt que de se porter aux frontières, frappèrent aux portes des suspects et les jetèrent en prison. Les juristes, qui disent joliment les choses, désignent cela comme une décision administrative d'internement à titre préventif. En tout quelques milliers de personnes bénéficièrent de ces mesures préventives. L'effectif se gonfla grâce à la liste des suspects que les garants de l'indépendance du royaume c'est-à-dire l'armée française emmenait dans ses gamelles. Les Allemands avaient également une liste dans leur gamelle mais pas forcément la même et c'est une autre histoire.
Les prisons belges étant pleines à craquer d'une part et l'avance des troupes allemandes étant plus rapide que prévue d'autre part, il fut décidé de transférer "les suspects" vers des camps d'internement français. Nous ne raconterons l'histoire d'un seul convoi : celui de Bruges à Abbeville. |
| | La bavure (?)Le 15 mai, l'administration pénitentiaire de la prison de Bruges, submergée par l'incarcération de "suspects" décide d'en transférer une partie vers la France. 79 personnes sont embarquées dans un convoi de trois autocars: 20 ou 21 Belges, 18 Juifs de nationalité inconnue, 14 Allemands, 6 Néerlandais, 3 Luxembourgeois, 9 Italiens, 2 Suisses, 1 Français Alsacien que l'on pourrait à première vue croire victimes d'un accent allemand, 1 Espagnol, 1 Danois, 1 Canadien Robert Bell, entraîneur de l'équipe nationale allemande de hockey sur glace, incarcéré en mars 1940 pour manque de papiers en règle et suspecté d'être un espion, 1 Autrichien, 1 Tchèque. Tous, bien entendu, ne sont pas innocents. Le groupe compte notamment Léon Degrelle en personne, le chef de Rex.
Les trois autocars et les 78 détenus partis de Bruges avaient gagné Dunkerque via Ostende à la frontière franco-belge. Là, Léon Degrelle qui est né sous une bonne étoile est reconnu, tiré du car et proprement passé à tabac par des militaires français. Degrelle s'en tire avec quelques "bleus" somme toute bien mérités. Le convoi repartira sans lui, et sous les huées et les jets de pierre atteindra la prison de Béthune où, après un interrogatoire d'identité sommaire pour l'établissement d'une liste, les 77 suspects seront remis, dans des conditions restées peu claires, à la Sûreté française. Ils resteront détenus à Béthune jusqu'au 19 mai, puis de nouveau évacués devant l'avance allemande. Au moment du départ, on joindra au lot un jeune Belge vivant en France et ayant refusé d'être mobilisé dans l'armée de la IIIème République.
Sous la protection de la Sûreté française, le convoi atteindra Abbeville dans la nuit du 19 au 20 mai vers minuit et les suspects seront, faute de mieux, enfermés dans la cave du kiosque de musique de la Porte du Bois. Pour Abbeville, la journée du 20 mai est un jour sombre. Les Allemands sont aux portes de la ville. Pour les dernières unités présentes dans la ville en flammes, le "décrochage" s'impose mais que faire des prisonniers ?
Le capitaine Marcel Dingeon, de l'état-major de la place, un architecte mobilisé choisit une solution expéditive: les fusiller tous! Qui donc a eu la malencontreuse idée de confier 79 "parachutistes" allemands à un capitaine ivrogne (c'est ce que dira la commission d'enquête). Dingeon donne ordre verbal au sergent-chef François Mollet et sa section de la 5ième compagnie du 28ième Régiment Régional, des territoriaux rappelés d'âge déjà mûr. Quelques soldats d'une unité du Train se joindront à eux. La tuerie commence. Par groupe de 4 ou de 2, les malheureux civils sont extrait de leur cachot et abattus froidement. Le lieutenant René Caron, supérieur direct de Mollet, instituteur dans le civil, qui passait justement par là, participe à la fête. (encore un ivrogne dira l'enquête). |
Serait-ce pour commémorer l'exploit du lieutenant René Caron qu'une rue d'Abbeville porte toujours son nom ? | | |
| | Le sergent chef Mollet est mal à l'aise. Il retourne voir le chef Dingeon. "Fusillez les tous" répond Dingeon. Pour en finir au plus vite, un soldat français lance une grenade dans la cave du kiosque. Elle n'explose pas. Elle était de mauvaise qualité ! 21 exécutions ont déjà eu lieu, interrompu de temps en temps par les bombardements allemands. Le lieutenant Jean Leclabart du 28e RR qui lui aussi passait par là et qui connaissait le règlement militaire s'exclame: "Mais enfin, êtes-vous devenu fou?" et demande l'ordre d'exécution. Comme personne ne peut montrer un tel ordre, il fait arrêter le massacre.
Parmi les victimes : Joris Van Severen, chef du Verdinaso et son secrétaire, Jan Rijckoort ; un canadien, entraîneur de hockey sur glace, arrêté au mauvais endroit et au mauvais moment parque ces papiers n'étaient pas en ordre ; un frère bénédictin d'origine allemande ; une vieille dame ; Lucien Monami, conseiller communal de St-Gilles ; un marchand de chicons (en France on dit endives), conducteur de son véhicule réquisitionné pour transporter les "suspects" et qui, par ironie du sort, le partagea par erreur ; 4 italiens antifascistes réfugiés en Belgique et qui croyaient échapper aux Allemands,...!
Il y avait aussi parmi les victimes, il faut le dire, de véritables espions. |
| | Epilogue :Le calvaire des survivants ne se termine pas à Abbeville. Certains feront le voyage jusqu'à Auschwitz pour ne plus en revenir. |
| | Conclusion :"Acceptons que la guerre ne fut pas propre dans un camp comme dans l'autre" |
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| | Source :"Het bloedbad van Abbeville" de Gaby Warris. Gaby Warris avait 18 ans. Elle fut arrêtée avec sa mère et sa grand-mère sous prétexte que son père était militant nationaliste flamand. Elle raconte le massacre et comment, sous ses yeux, sa grand-mère fut tirée de la cave du kiosque et assassinée à coup de crosse et de baïonnette. "Dossier Abbeville" de Carlos H. Vlaeminck et article de Dirk Martin dans Jours de Guerre N° 3 édité par le Crédit Communal de Belgique. |
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