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www.humanite.fr Article de 2014
"Début 1942, viscéralement patriote, il décide de partir pour Londres. Engagé dans les Forces françaises libres, il est choisi pour débarquer avec la division anglaise en Normandie.
Rémi Dreyfus est très fier de son insigne des Forces françaises libres, numéro 7 042, et de sa médaille militaire. Il ne les porte que dans les grandes occasions. Il oublie volontiers de mentionner qu’il est aussi officier de la Légion d’honneur. Mais aujourd’hui, parmi les invités dans la tribune officielle du 70e anniversaire du débarquement, ces décorations seront à leur place sur sa poitrine. Le 6 juin 1944, Rémi Dreyfus, officier parachutiste, membre des SAS (Special Air Service), débarquait en Normandie dans un des planeurs de la 6e Airborne.
Regard vif, humour au bord des lèvres, bon pied bon œil, Rémi Dreyfus, 94 ans, raconte son incroyable histoire avec un naturel désarmant. Comme si toute cette aventure relevait de l’évidence. À 21 ans, en avril 1940, tout juste sorti d’HEC – il est fils d’un banquier – il est rattrapé par la guerre. « J’ai été appelé pour vivre une retraite peu glorieuse, de Rambouillet jusqu’à Limoges. Je suis resté dans “l’armée de l’armistice” – l’équivalent des 100 000 hommes laissés à l’armée allemande en 1918 –, pour faire la police en cas de besoin. Ici, cette armée n’a jamais fait la police, ce sont les miliciens qui s’en sont chargés ! Elle n’avait aucun moyen. J’étais dans un régiment de cavalerie, mais on défilait à bicyclette. Mis en état d’alerte, nous avons reçu l’ordre de nous porter à Marseille pour embarquer. Le problème, c’est que l’hiver était très froid et qu’il fallait faire chauffer les moteurs chaque jour. Quand l’alerte a été donnée, nous n’avions plus d’essence ! Cette armée est restée l’arme au pied, comme beaucoup de Français. »
En août 1941, Rémi Dreyfus est démobilisé. Il accompagne alors son père, très malade, jusqu’à son décès. « Il est mort officiellement d’un cancer mais, en fait, il est mort de chagrin : son pays détruit, sa banque détruite, la mairie de son village (il en était le maire depuis 25 ans) dont l’accès lui a été interdit car il était juif, alors que dans ma famille, on se définissait comme français, laïques, républicains, porteurs d’un nom plutôt célèbre. » C’est avec un large sourire qu’il évoque aujourd’hui la blague d’un ami juif polonais : « Moi, je suis juif par la grâce de Dieu ; toi, tu es juif par la grâce d’Hitler ! »
Le jeune homme par réaction « purement et simplement patriotique », parce qu’il veut défendre son pays, décide de rejoindre l’Angleterre. « J’aurais pu faire le choix d’entrer dans la Résistance. Une jeune femme, Colette, que j’ai épousée après la guerre et qui était depuis juin 1940 dans le mouvement Combat, m’a permis, grâce à son réseau, de passer en Espagne à hauteur de Font-Romeu. » Avec l’aide de paysans catalans, des conseils de son frère déjà arrivé à Londres (il faut se faire passer pour un Anglais), il rejoint le consulat anglais de Barcelone, puis Madrid, rate le passeur à la frontière portugaise et décide d’agir seul – « la nuit était claire, j’ai dû traverser tout habillé un fleuve à la nage » –, trouve une petite embarcation à Lisbonne pour rejoindre Gibraltar… Trois mois après son départ, il arrive à Londres.
Dès son arrivée, en mai 1942, il s’engage dans les Forces françaises libres. « Le général (de Gaulle) voulait alors qu’une force française participe au débarquement, que tout le monde croyait proche. J’avais le grade de maréchal des logis, alors il m’a demandé de faire une école d’officiers. En novembre, j’ai demandé à rejoindre les parachutistes, dans l’idée d’être opérationnel plus vite. On ne s’était pas dérangé pour boire des bières dans les bars de Londres – ce qui était agréable –, mais pour se battre ! Ce sont des parachutistes polonais qui nous ont formés. Du coup, je sais dire “relevez les pointes de pied” ou “serrez les coudes” en polonais ! » Éclat de rire, l’homme se propose de donner de suite des conseils aux lecteurs du journal pour sauter de trois mètres de haut sans risquer de se faire mal.
Devenu officier parachutiste avec ses collègues, ils obtiennent du général l’autorisation d’intégrer la brigade SAS (Special Air Service), où ils apprennent toutes les techniques de sabotage et de guérilla. Le 3 juin 1944, il est dans son camp d’entraînement dans le nord de l’Écosse. « On est venu chercher un officier parachutiste parlant aussi bien le français que l’anglais pour la 6e Airborne. J’imaginais une mission en France, en Norvège… À Londres, l’officier qui m’a reçu m’a annoncé que j’allais débarquer, dès le lendemain, en Normandie. » Surprise totale. Le jeune homme, qui a des fourmis dans les jambes, est ravi.
Au matin du 6 juin, il prend place dans un planeur tracté par un bombardier quadrimoteur. « Par le hublot, je voyais des centaines de bateaux, j’entendais les escadrilles de chasse. Notre convoi comptait 300 planeurs. Je me suis dit : “C’est pas possible, nous sommes invincibles !” » Son planeur atterrit dans une zone proche de Ranville, où « Rommel n’avait pas planté ses “asperges” (rails, pieux…) Les parachutistes anglais avaient déjà libéré la zone. C’était plutôt calme ». N’étant intégré dans aucun « stick » (une équipe de dix parachutistes), il patrouille dans le no man’s land entre les deux lignes de front à peu près stabilisées, à l’affût de renseignements.
Fin juillet, il retourne en Angleterre. Le 15 août, jour du débarquement en Provence, il est parachuté entre Chalons et Mâcon. Sa mission, couper la nationale 6 aussi souvent que possible, « pour couper la route aux troupes allemandes qui se dirigeaient vers le nord. J’étais attendu par le maquis du Charolais. J’avais 400 kilomètres d’avance sur les troupes alliées. Notre mission était de couper les communications de La Rochelle à Belfort ! La brigade SAS a été d’une efficacité redoutable. Mon secteur était peu propice à l’embuscade et aux sabotages : peu de forêts traversées, routes longilignes… Le 4 septembre, l’armée française traversait “mon” territoire ». Un souvenir assombrit cette libération : le combat meurtrier de Sennecey-le-Grand (Saône-et-Loire), au cours duquel de nombreux soldats français ont laissé la vie.
La vie sous l’uniforme prend fin peu après pour Rémi Dreyfus. « Je n’ai jamais eu de problème nulle part ! » lâche-t-il dans un sourire, mais la guerre n’est pas finie. La jeune femme qui lui a permis, deux ans plus tôt, de quitter la France, a été arrêtée par la police française, livrée aux Allemands le 1er mai 1944, « jour de la saint Philippe », et déportée à Ravensbrück. « Elle a survécu par miracle et n’a été libérée que le 8 mai 1945. » Les retrouvailles ont lieu à l’hôtel Lutetia. La vie pouvait enfin reprendre ses droits."
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laurent le lundi 18 avril 2016 - Demander un contact Recherche sur cette contribution | |