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Le jeune musée de l’Homme à l’épreuve de la guerre et de l’Occupation (1938-1949)
Christine Laurière
IIAC-LAHIC, CNRS, Paris
2019
" Pour l’heure, en février 1941, le musée de l’Homme, étroitement surveillé par la police allemande, est dans le collimateur du secrétariat d’État à l’éducation nationale et la jeunesse (dirigé par Jérôme Carcopino puis Abel Bonnard) qui ouvre un dossier à son nom et demande des comptes. Il doit donner des gages de son obéissance aux lois du gouvernement, ce que n’avait pas fait Paul Rivet. Dès le 27 février 1941, le ministère exige l’application stricte des lois du 17 juillet, du 14 août et du 3 octobre 1940 relative aux enfants d’étrangers démissionnaires d’office de la fonction publique et au statut des juifs, exclus du corps enseignant et de la recherche. L’organigramme du musée de l’Homme pose problème dans la mesure où sa tradition d’hospitalité envers les étrangers (plusieurs d’entre eux naturalisés de fraîche date) est prise en défaut par une politique d’État xénophobe. La présence même de nombreux étrangers bénévoles, travaillant dans les services techniques et les départements scientifiques voire occupant des postes à responsabilité, attire l’attention. Louis Germain doit se conformer officiellement aux directives reçues, « alléger le personnel […] et remplacer, dans les emplois indispensables, les étrangers par des Français [41] ». Mais il ment au moins pour une personne dont il dit s’être séparé dès novembre 1940 : l’ethnologue africaniste Deborah Lifchitz, naturalisée française, polonaise d’origine et de confession juive, aide-technique de la Caisse de recherche scientifique, rémunérée jusqu’en juillet 1941. Elle tombe sous le coup de la loi du 2 juin 1941 sur le second statut des juifs qui impose à Paul Lester de certifier, le 21 août, une fois qu’elle n’y travaille plus, qu’« aucun fonctionnaire ou agent d’origine israélite [42] » n’est employé au musée. Il l’autorise cependant à continuer à travailler bénévolement au département d’Afrique noire. Elle vit alors dans un appartement mis à sa disposition par Michel Leiris, avant d’être arrêtée fin février 1942 et internée à la prison des Tourelles, porte des Lilas : « c’est assez près pour qu’on puisse aller la voir chaque jeudi et chaque dimanche, elle va bien » autant qu’il est possible dans de telles circonstances, raconte Caroline Vacher à Paul Rivet en avril 1942. Vraisemblablement, elle s’y rend en compagnie de Denise Paulme, s’étant beaucoup rapprochée du couple Schaeffner, « tellement fidèle et dévoué » au noyau des membres fondateurs du musée et au maintien de son intégrité. Toutes les démarches mises en œuvre par ses amis pour faire sortir Deborah Lifchitz échouent ; une fois transférée à Drancy, elle est déportée à Auschwitz en septembre où elle périra dès son arrivée. Ses proches ne l’apprendront que début mai 1944, mais ils ne se faisaient malheureusement plus aucune illusion sur son sort depuis longtemps. Elle avait pourtant cherché à quitter Paris à l’hiver 1940 pour une mission en Afrique mais, pour des raisons obscures lourdes de conséquences, le projet échoue [43]. Son ami Henri Lehmann a plus de chance. D’origine juive allemande, il avait déjà fui Berlin en avril 1933 et fut recueilli par Paul Rivet au musée, qui l’aida à obtenir sa naturalisation en 1938 et à faire venir ses parents en France. À l’automne 1940, il quitte précipitamment Paris avec un visa britannique pour Casablanca. Après de longs mois de transit et d’incertitude dans divers pays, pendant lesquels tous ses amis (Claude Lévi-Strauss, Alfred Métraux, les époux Soustelle, etc.) tentent de l’aider, il finit par rejoindre Rivet en Colombie quand ce dernier y trouvera lui-même refuge à partir de la fin avril 1941 pour fonder un Institut d’ethnologie à Bogota." Laurent Laloup le mardi 14 avril 2020 - Demander un contact Recherche sur cette contribution | |