|
"La solitude des anciens FFL
Les anciens de la France Libre sont aigris : on parlerait trop des Malgré-nous, des Tambow et autres RAD, en oubliant l’engagement de ceux qui ont choisi De Gaulle. Mais si leur président alsacien doit bouder la réception du 18 juin à la mairie de Strasbourg, c’est encore pour un autre motif.
La commémoration de l’appel lancé par De Gaulle le 18 juin 1940 devrait être jour de fête pour les survivants des Forces Françaises Libres (FFL). Poutant, les anciens FFL du Bas-Rhin font un peu la grimace, car ceux qui se considèrent quand même comme des engagés de la première heure s’estiment injustement oubliés. C’est en tout cas l’avis de leur président, le docteur Jean Meyer, 85 ans, un ancien chirurgien orthopédiste strasbourgeois. Le président de l’Amicale des anciens de la France libre du Bas-Rhin le souligne même en l’écrivant noir sur blanc dans l’invitation qu’il vient d’adresser à ses camarades pour la cérémonie du 18 juin à Strasbourg : « Nous ne sommes plus qu’une petite dizaine de survivants de cette épopée et le terrain médiatique est occupé par les Malgré-nous, les incorporés de force, les Tambow , RAD et autres héros ! »
« Si Hitler avait gagné la guerre, les Malgré-nous seraient revenus en héros. Et nous ? » Jean Meyer était à Limoges en 1942 comme étudiant en médecine. Quand la zone libre est envahie, il croise une colonne allemande dans une rue. « Ça m’a fait un tel effet ! Je me suis dit : je fous le camp ! » Jean Meyer part vers l’Espagne, où il est pris par la guardia civile avant d’être interné, puis échangé, comme les autres prisonniers, avec les Américains par Franco contre un bateau de blé. Il part vers Gibraltar. Suite de l’aventure qui le mènera jusqu’à Strasbourg avec la 2e DB. Roland Vinot, d’Andlau, 85 ans, et Victor Boukobza, 84 ans, de Strasbourg, déjeunaient avec leur président ces derniers jours dans un petit village du Piémont, Eichhoffen. Les anciens FFL encore valides se retrouvent ainsi une ou deux fois par an. La démarche des octogénaires est ralentie, mais ils restent droits : « C’est la guerre qui nous a entretenus », sourit Roland Vinot, un Parisien d’origine, engagé dès 1939, qui passera par la taule car « catalogué comme gaulliste », avant de rejoindre la 2e DB à la suite de la campagne de Tunisie. Les anciens des FFL expriment la même rancoeur que le président : « Si Hitler avait gagné la guerre, les Malgré-nous seraient revenus en héros. Et nous ? » Comment expliquer ces états d’âme chez les compagnons de De Gaulle, sinon par « une espèce de jalousie entre ceux qui étaient du bon côté et ceux qui étaient du mauvais côté » ? C’est là en tout cas l’expression du général Bailliard, 84 ans, le président de l’ADEIF (Association des évadés et incorporés de force), selon lequel ce phénomène a existé de tout temps. Il est même visible entre ceux qui étaient du même côté, ajoute-t-il.
« Est-ce qu’aujourd’hui, s’il le fallait, le même patriotisme se manifesterait ? » L’autre réponse viendrait aussi du faible effectif des anciens FFL, beaucoup moins nombreux au départ que les incorporés de force dont il reste encore 3 à 4 000 survivants dans le Bas-Rhin. Forcément, on les voit davantage, laisse entendre le général. Quant aux anciens de la France Libre, le temps n’est plus à raconter le parcours personnel. Au soir d’une existence marquée par la forte expérience de la guerre, ils en sont plutôt à l’heure du message à transmettre, notamment aux jeunes. C’est là qu’ils s’interrogent. Jean Meyer demande : « Est-ce qu’aujourd’hui, s’il le fallait, le même patriotisme se manifesterait ? » La réponse semble contenue dans le ton de la question. Pas de quoi redonner le sourire aux libérateurs de la France. On n’est plus étonné que le président Meyer annonce qu’il ne se rendra pas à la réception à la mairie de Strasbourg le 18 juin. Mais là, l’explication est carrément politique, comme l’explique le président des FFL : « Comment voulez-vous que j’aille à une réception organisée par des socialistes. Ce sont les socialistes qui ont contribué à la défaite de De Gaulle au référendum de 1969 ! » Il a décidément la rancune tenace, le président Meyer.
Claude Robinet
Édition du Sam 14 juin 2008"
schlomoh.blog.lemonde.fr
De gauche à droite, Victor Boukobza, Jean Meyer et Roland Vinot : quelques uns des anciens de la France Libre, qui ne sont plus qu’une dizaine dans le Bas-Rhin. (Photo DNA) Laurent Laloup le vendredi 31 octobre 2008 - Demander un contact Recherche sur cette contribution | |